1. Dieu n’est-il pas présent partout ? Pourquoi l’adorer spécialement dans le Saint-Sacrement ?
Réponse : Seul le Saint-Sacrement contient la présence réelle de Dieu, ce qui n’est pas le cas d’un beau paysage, d’un arbre ou d’une source. La présence de Dieu dans la nature est de l’ordre du signe qui renvoie au Créateur. Elle n’est pas substantielle comme dans l’eucharistie. Poussée à l’extrême, cette objection peut recéler du panthéisme, cette doctrine philosophique qui ne distingue pas l’être de Dieu du reste du monde. Cette tendance se révèle toutes les fois où la transcendance de Dieu est matérialisée ou minimisée.
2. Adorer le Saint-Sacrement exposé dans l’ostensoir ou simplement déposé dans le tabernacle, qu’est-ce que cela change ?
Réponse : Il n’y a que les anges pour qui la différence n’existe pas. Pour nous, êtres de chair, la vision des saintes espèces consacrées par la puissance du Saint-Esprit, la beauté et la solennité qui entourent le Saint-Sacrement sont le signe de notre amour et de notre dévotion. À ce compte, pourquoi dans la vie distinguer ce qui est important par tel ou tel signe ? Pourquoi une mariée serait-elle plus en robe blanche qu’en habits de tous les jours ? Nos habits de fête sont-ils insignifiants ? Qu’obtient une société à tout banaliser ? Héritée de l’expérience de l’Église, l’exposition du Saint-Sacrement est particulièrement expressive. Notre foi a besoin pour fixer son attention d’être attirée par un signe qui correspond à la nature de ce qui est signifié. C’est ce qui caractérise chaque sacrement. La vue de l’hostie consacrée soutient notre démarche de foi. Est-ce une concession à la faiblesse et à la psychologie humaines ? C’est plutôt la loi de l’Incarnation qui joue. Les signes eucharistiques placent le mystère pascal de Jésus à notre portée, sous notre regard. On ne peut nier le réalisme anthropologique de cette dévotion. L’intimité avec Dieu qui a pris chair de notre chair pour nous faire partager sa divinité ne veut pas se passer des moyens sensibles liés à notre nature incarnée. La porte du tabernacle ou la vitre de l’ostensoir ne peuvent en aucun cas limiter la présence réelle du Seigneur. Toutefois, pour l’adorateur, dans l’ordre de la psychologie humaine et conformément à la loi de l’Incarnation, la différence entre « voir l’hostie » et « prier devant le tabernacle fermé » peut se comparer à la différence entre converser avec un ami face à face et converser avec ce même ami sans le voir directement. Voir la sainte Hostie aide l’adorateur à s’unir au Christ par la foi en fixant son regard sur l’hostie. De plus, par l’exposition du Saint-Sacrement, nous honorons et glorifions le mode sacramentel du Christ dans l’eucharistie. Comme les amis de Jésus l’honoraient par des gestes et des paroles, nous pouvons honorer la personne divine de Jésus présente dans le Saint-Sacrement en lui rendant un culte public par l’exposition solennelle. Ceci est conforme à la demande de Jésus à sainte Julienne du Mont-Cornillon d’instituer la Fête-Dieu pour honorer solennellement son corps et son sang dans l’eucharistie.
3. L’adoration eucharistique n’existait pas aux origines de l’Église. C’est une dévotion tardive.
Réponse : L’adoration eucharistique telle qu’elle a pris forme au cours du Moyen Âge était la conséquence la plus cohérente du mystère eucharistique lui-même : un accueil profond et véritable ne peut mûrir que dans l’adoration. La vie des saints nous montre que cette dévotion apparue peu à peu est un don de Dieu pour son Église. Dans le Catéchisme de l’Église catholique, nous lisons : « Dans l’Église primitive, la réserve eucharistique avait d’abord pour but la communion des malades, mais après, avec une meilleure compréhension du mystère, sous l’inspiration du Saint-Esprit, l’Église a développé le culte d’adoration du Saint-Sacrement. » L’eucharistie ne peut se réduire à sa dimension communautaire et liturgique. Elle doit aussi être vécue dans sa dimension de présence, c’est-à-dire dans l’adoration eucharistique.
4. En adorant le Saint-Sacrement, ne risque-t-on pas de « chosifier » l’eucharistie ?
Réponse : Jésus au Saint-Sacrement n’est pas une chose. Il est le don du Père pour la vie du monde. Dans l’eucharistie, la vie du Fils est tout entière livrée pour nous. Ceci est son corps. Ce qui, en revanche, risque de « chosifier », c’est une attitude indifférente à l’égard de l’eucharistie. Arriver en retard à la messe, sécher la liturgie de la Parole, quitter l’église avant la fin de la célébration de la messe pour une raison futile, négliger de se confesser régulièrement, autant d’attitudes qui réduisent subjectivement l’eucharistie à une chose.
5. L’adoration eucharistique est-elle concédée par l’Église à ceux qui ne savent pas faire oraison ?
Réponse : Le Catéchisme de l’Église catholique définit l’oraison en empruntant les termes mêmes de sainte Thérèse d’Avila : « L’oraison mentale n’est, à mon avis, qu’un commerce d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé. » Dans cette définition, chaque mot est pesé : amitié, fidélité, solitude, amour de Dieu. Les mystiques du Carmel nous apprennent que l’oraison consiste à laisser l’Esprit Saint envahir l’esprit du disciple de telle sorte que son âme devienne totalement unie à Dieu. Ce travail de l’Esprit n’est possible que dans l’âme de celui qui se livre et s’expose totalement à l’œuvre de la grâce. L’adoration n’est pas contraire à ce chemin. L’oraison exige elle-même d’adorer le Dieu à qui l’on se livre comme le bois au feu. L’eucharistie est le moyen sublime que Dieu donne à l’homme pour que l’homme s’unisse à lui. L’Église encourage aujourd’hui vivement la pratique de l’adoration eucharistique. Il serait dommage de la négliger. Vouloir rencontrer Dieu en nous dans un cœur à cœur sans passer par le face-à-face de l’adoration nécessite une purification du moi intérieur et une solide formation, une capacité de combattre les passions à mains nues, sans quoi l’oraison risque de nous ramener à nous-mêmes dans une regrettable introspection et non à Dieu présent en nous. Dans le face-à-face de l’adoration, le corps ressuscité de Jésus nous purifie, nous transforme et nous divinise. Inutile d’opposer oraison et adoration. Dans l’Église, l’une et l’autre se complètent, même si au plan personnel, le Seigneur conduit chacun par les chemins et de la manière qui lui plaisent. Chaque fidèle répond ainsi à Dieu selon les inspirations que l’Esprit souffle dans son cœur.
Père Ludovic LECURU
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À lire :
Ludovic Lécuru/ Florian Racine, « L’adoration eucharistique », Éditions de l’Emmanuel, , 170 pages, 14 e