Voyage en Russie (août 2009) - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Voyage en Russie (août 2009)

Nous avons toujours plaisir à suivre le Père Patrick de Laubier dans ses longues pérégrinations universitaires où il prend régulièrement le pouls de chrétientés dont les problèmes paraissent à mille lieues des nôtres. Le voici tout juste de retour de Russie où il a tant d'amis de toutes confessions et convictions.
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Moscou, Volgograd, Elista, Novoe, Toula… Ce chapelet de villes forme un itinéraire qui n’a pas d’autre logique que celle de circonstances fortuites, souvent imprévues et, pendant 16 jours, 35 pages de notes qu’il faut tenter de résumer ici pour s’en souvenir. La Russie n’est pas seulement étendue, elle est énigmatique, le rappeler est devenu une sorte de genre littéraire depuis le XIXe siècle.

L’occasion officielle de ce séjour était l’organisation par deux départements de l’Université d’État de Moscou (MGU) d’une « université d’été » à Volgograd (ex Stalingrad) sur la Philosophie de la religion. La vingtaine de jeunes professeurs ou assistants, appartenaient soit au département de Philosophie soit à celui de « Religion », appelé autrefois « Athéisme scientifique » et dont les professeurs, qui ici prennent leur retraite au moment de mourir, restent souvent les mêmes. Alexis Kozyrev, un ami, jeune vice-doyen de philosophie, m’avait invité et je suis venu. Il fallait proposer un thème précis et on me suggéra une présentation d’inspiration thomiste que j’ai intitulée : La philosophie de la religion selon Étienne Gilson et Jacques Maritain bien que ni l’un ni l’autre n’aient traité formellement ce sujet, mais de fait il y a une approche de la philosophie de la religion chez ces auteurs.

Arrivé quelques jours avant le colloque, je suis accueilli au nouvel aéroport de Domodedovo par Alexis Kozyrev qui a maintenant une voiture. Il me dit que la crise a des conséquences très sensibles sur les salaires, mais en achetant une carte sim de téléphone portable moscovite je vois d’élégantes jeunes femmes qui n’ont pas l’air d’en souffrir, pas plus que les habitants des nouvelles tours en verre et acier qui s’élèvent un peu partout dans la capitale. Je m’installe dans l’immense cité universitaire de MGU bâtie sur l’ordre de Staline sur une hauteur (monts Lénine) pour recevoir des milliers d’étudiants. Ce n’est pas beau mais bien commode, chacun a son studio et peut cuisiner sur place. Le soir, dîner avec un ami français en quête de travail. Il habite près de la grande église Saint-Sauveur que nous visitons le lendemain : un office liturgique réunit des milliers de policiers militaires et civils rangés comme pour une revue. Prêtres et officiers font bon ménage. Je vois de temps en temps des « sans-grades » qui se signent.

Le journal gratuit du métro a en première page une photo du nouveau patriarche, Cyrill, qui visite l’Ukraine. La politique et la religion se donnent ici la main, j’y reviendrai plus loin. Déjeuner avec Sacha Krysov, un ancien étudiant que j’avais pu inviter à Genève, comme une quarantaine d’autres Russes, dans les années 1990. Il vient d’être ordonné prêtre romain par un évêque américain d’origine lituanienne dont le siège est aux États-Unis (Nebraska). Il vit dans un appartement de la banlieue de Moscou et travaille à la rédaction de l’encyclopédie orthodoxe du Patriarcat de Moscou pour les questions catholiques. On prévoit 70 volumes, 20 sont déjà disponibles, et un immeuble a été affecté à cette vaste entreprise financée par le gouvernement. Sacha Krysov avait préparé un texte sur le cardinal Journet, mais il fut refusé faute de célébrité suffisante du théologien ! S. Krysov qui porte la soutane et célèbre dans le rite saint Pie V, est étranger à tout œcuménisme. Sa fidélité à Rome est totale mais je ne pourrai pas célébrer selon le rite ordinaire dans sa chapelle ! Il est très apprécié par ses employeurs orthodoxes. Nous allons dans une grande librairie où l’on peut constater la fécondité actuelle de la production littéraire russe. L’histoire est bien représentée et de nombreux livres très récents sur Stolypine sont proposés. Cet homme d’État assassiné en 1911 avait très sérieusement inquiété Lénine qui, réfugié à Paris en 1908, pensa que les réformes agraires entreprises au lendemain de la révolution de 1905 par Stolypine pourraient rendre la révolution impossible. Selon un sondage à l’échelle nationale, Stolypine arrive en seconde position, après Alexandre Nievski, mais avant Staline dans une évaluation de popularité. À MGU le soir je dîne avec un juriste polonais qui prépare une thèse sur les relations Église–État en Europe. Il a été en France et en connaît la laïcité.

Concélébration à l’église Saint-Louis des Français dont le curé est un jeune prêtre russe. Julia Abdoulova, traductrice et interprète que je connais depuis longtemps, propose qu’à mon retour de Volgograd, nous allions à Toula où vit sa mère, une ancienne colonelle du KGB devenue « folle en Christ ».

Rendez-vous avec Alexis Mouraviev, jeune savant de l’académie des sciences qui traduit les auteurs syriaques. Devenu « Vieux croyant » après avoir enseigné le grec à l’Institut orthodoxe St-Tikhon, sa paroisse dans Moscou ne dépend pas du Patriarcat. Les Vieux croyants qui se sont séparés au XVIIe de l’Église orthodoxe russe, sont beaucoup plus rigoureux en matière matrimoniale par exemple que l’Église russe. Longtemps persécutés au temps du tsarisme, ils ont plusieurs paroisses à Moscou et un Métropolite indépendant. Alexis Mouraviev a acheté une maison du côté de Yaroslav à 300 km au nord de Moscou et m’explique que la campagne russe est devenue un désert. Il doit faire 250 km pour assister avec sa famille aux offices ! Nous sommes rejoints par Alexis Kozyrev qui vient d’être nommé membre d’une commission de 35 membres auprès du Synode russe pour les questions culturelles et sociales. Avec les deux Alexis nous évoquons notre voyage au Brésil qui leur a laissé un grand souvenir, l’atmosphère était plus conviviale qu’en Europe occidentale !

Départ à Volgograd à 1 000 km au sud, sur la Volga, où nous rejoignons les autres participants. L’université a été refaite récemment et nous sommes bien accueillis dans cette ville qui a vécu sous le nom de Stalingrad la mémorable bataille qui en 7 mois (août 1942-février 1943) a changé le camp des vainqueurs, mais le prix fut élevé : 3 millions de morts au total. Le mémorial est imposant, une statue de 86 mètres mais sans aucune croix. Les morts de 1914-1918 avaient été oubliés, ceux de la seconde guerre mondiale sont encore rappelés sous le signe de la Faucille et du Marteau. Je me fais photographier près d’un char de 45 tonnes et d’un Mig qui rappellent les combats d’hier.

Comme c’est dimanche je demande à aller à l’église catholique et Alexis Kozyrev rejoint l’église orthodoxe avec un des participants, les autres ne pratiquent pas. La petite église catholique de Volgograd me reçoit avec joie, il faut célébrer en russe et je le ferai à deux reprises avec une interprétation pour l’homélie. Le curé, religieux verbiste slovaque, me demande si je puis continuer à être son vicaire, mais hélas nous partons le lendemain pour la Kalmikia, république bouddhiste qui donne sur la mer Caspienne.

L’exposé sur Gilson et Maritain interprété en russe par Alexis Kozyrev sera publié dans une revue à Moscou. Un des assistants traduit Saint Thomas en russe.

La république de Kalmoulkie comportait un demi million de kalmyks d’origine mongole, installés au XVIIe près de la Volga, lorsque Staline les déporta (on voit un wagon près du mémorial). (1) Ils sont maintenant 300 000 et le sanctuaire boud­dhiste qui vient d’être restauré au centre d’Elista est impressionnant avec son Bouddha de 14 mètres de haut qui fait l’objet d’une véritable adoration.

Au cours de conversations, j’apprends qu’aujourd’hui les communistes russes se retrouvent au cœur du conservatisme nationaliste opposé à l’influence occidentale et n’hésitent pas à s’intéresser à l’Orthodoxie un peu comme Maurras s’intéressait à l’Église romaine, mais l’Église russe est beaucoup plus ex­posée car elle n’a pas le recours d’une autorité spirituelle extérieure, la papauté, intervenant au nom du spirituel comme le fit Pie XI en 1926. Je faisais remarquer que la liberté n’était pas toujours au rendez-vous dans la tradition russe, on me répondit que l’expérience occidentale montrait qu’un mauvais usage de cette liberté avait des conséquences peut-être encore plus dévastatrices. Je rappelle que ceux qu’on appelle les « philosophes français », (Foucault, Deleuze, Derrida) sont traduits en russe. Pour résister à la marée engendrée par la « globalisation culturelle », l’Église russe s’interdit de changer et le nouveau Patriarche, Cyrill, a commencé par dire qu’il ne ferait pas de changement, sans trop préciser sa pensée. Cependant, comme le disait Newman, lorsque tout change il faut changer pour rester fondamentalement le même. Dans son discours de mars 2009 à Toula le Patriarche a fait remarquer qu’en pratique il fut un temps où les gens venaient à l’église, puis un temps où on les empêchait d’y aller et que maintenant il faut aller aux gens pour les engager à venir à l’église. Mais le cadre reste strictement russe y compris lorsque le Patriarche va en Ukraine pour dire que c’est encore la Russie !

Le président Med­vedev vient de donner son accord pour l’enseignement de la religion dans les écoles et les instituts, mais on ne sait pas encore sous quelle forme. Du côté orthodoxe il faut noter la proposition du recteur de l’institut St-Thikon, l’archiprêtre Vladimir Vorobiev qui souhaite que, conformément au « Modèle de Bologne », la théologie fasse partie du cursus universitaire. Mais l’interprétation qu’en donne le Prof. Trotsnikov, laïc, auteur d’un manuel sur les religions et proche de l’Église orthodoxe, voit dans la théologie une matière très générale, traitant des finalités, plutôt de la téléologie que de la théologie ! Le même auteur assure que le stalinisme avait incontestablement un caractère orthodoxe, à la fois politique et religieux conformément à la tradition byzantine. On croit se retrouver au temps de Pobedonostsev, haut Procurateur laïc du saint Synode de 1881 à 1905 et de Staline, ancien séminariste, ce qui fait réfléchir.

Nous faisons des courses dans un gigantesque supermarché selon un modèle devenu presqu’universel mais moins somptueux qu’à Shanghaï ou à São Paulo où le marbre est de rigueur pour ces cathédrales de la « civilisation de marché ».

Nous partons le lundi matin dans un bus délabré pour un camp de vacances de MGU situé dans la steppe habitée par des chevaux sauvages avec le long de la route, quelques stations-service. Les cosaques du Don sont devenus bergers de chèvres qu’ils surveillent en motos. Le lieu boisé du camping est bien situé près d’une rivière, du sable, pas de moustiques. Nous nous répartissons dans des chalets. Un de mes voisins est de Kazan, il parle français et s’intéresse à Maritain. Tout finira par un projet de rencontre à Kazan en 2010. Je propose le thème : L’économie du salut et l’économie politique en Russie !

Un village, Kotovski (nom d’un révolutionnaire), situé à quelques kilomètres est signalé au loin par un bulbe d’église que le soleil fait briller à l’horizon, nous y allons avec Alexis et notre ami de Kazan. Mille habitants et un magnifique sanctuaire du XVIIIe à moitié détruit par les cosaques rouges en 1918 est en cours de reconstruction. Il est voué à la nativité de la Vierge dont une grande icône peinte sur le mur a été épargnée. Vrai symbole de la reconstruction de l’Église en Russie. L’argent est rare et les travaux suivent ce rythme. Un tronc dans une épicerie me donne l’occasion de mettre 500 roubles soit 10 euros environ et l’énormité de ce don me vaut d’être inscrit dans le registre des donateurs. Dans les villages russes, les millions de morts de 1914-1917 n’ont pas de mémorials, ils ont été sacrifiés pour une mauvaise cause.

La session est terminée et l’ouvrage de Daw­kins qui explique que Dieu n’existe pas, va faire l’objet d’une table ronde. Je dis ce que je pense de la nullité de cet infortuné best-seller. Pour revenir à Volgograd et prendre l’avion pour Moscou nous empruntons avec Alexis un minibus à Urioupink, ville de 40 000 habitants où se déroule le roman de Sholokov Le destin d’un homme. L’auteur obtint en 1933 le prix Nobel pour Le Don paisible à la gloire de la révolution d’octobre. Rien ne semble avoir changé avec son tableau des héros décorés et la pauvreté ordinaire car la province respire encore quelque chose de l’air du système soviétique.

Retour à Moscou. Après 70 ans de communisme on ne critique plus la religion, mais l’on s’efforce de l’intégrer dans la vie quotidienne en lui faisant perdre sa spécificité chrétienne. J’apprends que la fête nationale autrefois fixée le jour où éclata la révolution coïncide maintenant avec la fête de Notre-Dame de Kazan qui protégea en 1612 les Russes de l’invasion polonaise ! La France laïque continue bien à fêter le 15 août l’Assomption de la Vierge. On n’écarte pas facilement la Mère de Dieu qui semble s’intéresser tout particulièrement à ces deux pays. La vocation d’une nation disait V. Soloviev, ce n’est pas ce que ses habitants imaginent de leur pays, mais ce que Dieu pense d’elle.

La nostalgie de l’ancien régime soviétique est récurrente ici parce que l’économie de marché importée d’Occident n’a pas enrichi tout le monde et Moscou, avec ses transformations specta­culaires, n’est pas représentatif du pays.

Le clergé paroissial doit non seulement faire vivre sa famille, mais contribuer aux dépenses des doyens et surtout des évêques qui, en général, ont un train de vie élevé pour faire bonne figure auprès de gouverneurs qu’ils n’hésitent pas à conseiller. Ils pourront par exemple s’opposer à la construction d’une Mosquée.

L’implosion démographique qui fait perdre plus de 800 000 habitants chaque année en Russie touche beaucoup moins les musulmans qui sont mieux protégés contre l’alcoolisme, ce fléau redoutable que le gouvernement voudrait combattre. Entre 1870 et 1910, la population paysanne de l’empire russe avait doublé, puis il y eut 60 millions de morts entre 1914 et 1945 et aujourd’hui l’implosion démographique délibérée menace la survie du pays. Un enfant par famille, menacée elle-même de se briser. L’Église orthodoxe ne prévoit-elle pas 17 cas de dissolution du mariage, selon le principe canonique d’ « économie », tout en affirmant son indissolubilité ?

Dans le renouveau incontestable de la vie spirituelle en Russie, il y a une zone d’ombre associée au fait que ni l’Église ni l’État n’ont jamais reconnu leurs fautes et que les innombrables victimes du totalitarisme et des compromissions sont oubliées. Seuls les soldats que l’on a envoyés se faire tuer pour défendre la patrie ont été honorés. Le métropolite Serge, futur patriarche (1943-1944) (2) affirma en 1927 que le régime soviétique n’était nullement incompatible avec le christianisme qu’il ne cessait pourtant d’exterminer. La constitution actuelle prévoit la liberté religieuse en privilégiant l’Église orthodoxe qui se trouve ainsi très proche des chefs politiques comme on le voit en ce moment à propos de l’Ukraine.

Dimanche soir les nouvelles de 21 heures sur la chaîne numéro 1, montraient longuement Pou­tine, bavardant avec les uns, répondant à d’autres, puis très rapidement le président Medvedev décorant un militaire. Aussitôt après le Patriarche Cyrill apparaissait au cours d’un voyage en Ukraine, invitant les Ukrainiens à s’unir étroitement avec l’Église russe.

La constitution modifiée permettra au Pre­mier ministre Poutine d’être à nouveau président en 2012 pour deux mandats successifs de 6 ans. Une intense publicité commerciale invite à la consommation malgré la baisse des revenus.

Visite à la vice-directrice de l’université des sciences humaines de Moscou (RGGU) où j’ai donné des cours depuis 1995 grâce à l’invitation de l’ancien recteur Iouri Afanassiev devenu très critique à l’égard du régime actuel et ce qu’il considère comme une fausse démocratie. Elle est aussi pessimiste et souffre du renfermement progressif de la Russie sur elle-même. Par bonheur, la grande université Lomonosov (MGU), où A. Kozyrev est vice-doyen, est plus ouverte sur le monde avec de nombreux accords interuniversitaires. (3) Mais il n’en reste pas moins que la tendance générale n’est pas à l’ouverture.

Rejoint en sortant de RGGU par un ancien étudiant qui est devenu entrepreneur, nous dé­jeunons ensemble et il m’explique que dans la ville où il fabrique du béton la moitié de la population se morfond faute d’emploi et par la faute de l’alcoolisme. Lui-même a dû licencier un employé sur deux. Père de 2 enfants, l’une est devenue membre d’une communauté évangélique qui lui réussit très bien, malgré les regrets de sa mère orthodoxe, et le second se replie sur sa guitare.

Rendez-vous dans les nouveaux bâtiments où le Doyen du département de philosophie de MGU, jeune et aimable, reçoit les visiteurs. Sa famille était de tradition « vieux croyante », mais lui-même est agnostique. Sa thèse, Philosophie et métamorphoses culturelles et son gros manuel (650 pages) donnent une idée de l’enseignement à MGU et plus généralement dans le monde universitaire. La métaphysique est généreusement proposée et les auteurs russes, comme Soloviev, sont enseignés, mais la tendance est à la « Culturologie » ou sociologie de la culture. La religion, on l’a vu, a ses chaires provenant de l’athéisme scientifique et dont l’esprit varie selon les professeurs. La sélection des étudiants est rendue difficile par un système qui se prête à des falsifications de dossiers.

Brève rencontre avec un vieil ami, Iouri Popov, professeur à l’université des syndicats de Russie. Il s’intéresse à la religion depuis le colloque organisé par la centrale syndicale soviétique en 1991 pour le centenaire de Rerum novarum, où il rencontra le cardinal Etchegaray obligé de faire de l’auto-stop à Moscou afin de présider la séance. Iouri Popov a été invité par le Saint-Synode à une cérémonie lors de l’élection du Patriarche Cyrill.

Le dimanche la sœur Tamara vient me chercher en voiture pour se rendre à Novoe près du monastère de Serguiev-Possad, c’est un centre pour enfants handicapés où je rencontre 10 sœurs de la Charité (Mère Teresa) qui rayonnent la lumière de l’Évangile. Un ménage d’intellectuels russes est aussi là et une russe catholique, Olga ; ils me font une excellente impression. L’évêque orthodoxe de Kostroma a autorisé la sœur Tamara, qui est catholique, à recevoir l’Eucharistie lors des liturgies orthodoxes, où les enfants handicapés participent et un prêtre de la Nonciature catholique qui est présent me confirme que l’atmosphère entre orthodoxes russes et catholiques est devenue cordiale. Je reviens par le monastère Saint-Serge et prends le train pour Moscou. Le dernier déplacement est pour Toula où je me rends pendant deux jours accompagné par J. Abdoulova qui m’explique que l’évêque Alexis de ce diocèse est un modèle d’apôtre. C’est à Toula, on l’a noté, que le nouveau Patriarche Cyrill a inauguré son périple missionnaire. Avant d’y arriver, nous visitons la propriété où vécut Alexis Khomiakov (1804-1860) le père des slavophiles. Berdiaev considérait Khomiakov comme le plus grand des théologiens russes et ce gentleman-farmer russe, au savoir encyclopédique, a laissé une correspondance avec l’anglican Palmer qui devint catholique après avoir envisagé d’être orthodoxe. Ces lettres sont réunies sous le titre de L’Église Une. Ce bref traité d’ecclésiologie, qui rappelle le livre célèbre de J.-A. Moehler L’unité dans l’Église (1825), oppose une Église orthodoxe idéale à une Église catholique bien terrestre. Il fut aussi très critique à l’égard de l’Église orthodoxe (réelle) de son temps et ne put publier ses ouvrages en Russie. Depuis quelques années l’œuvre de Khomiakov donne lieu à des colloques et de nombreuses publications, notamment à Toula toute proche. Je loge dans un hôtel neuf et très moderne. Le matin nous allons avec Julie et sa mère au monastère proche où l’évêque Alexis doit célébrer. La cérémonie n’évitera aucune rubrique liturgique, c’est l’anniversaire de saints locaux, ce qui demandera quatre bonnes heures dont une heure dix minutes d’homélie devant une assemblée attentive et sans chaises. Le curé d’Ars parlait aussi pendant une heure, mais les assistants pouvaient s’asseoir, ce que je finis par faire devant une grande icône qu’un petit enfant embrassait en prenant bien son élan pour l’atteindre.

Toula, ville de 500 000 habitants à 200 km de Moscou, une des premières villes industrielles dans l’histoire de la Russie, était un bastion du communisme, peut-être est-ce la raison du choix du Patriarche Cyrill en mars dernier. Son discours a duré bien davantage qu’une heure mais le clergé était assis. Il a dit ce qu’il fallait dire. L’Église est missionnaire par essence et si les fidèles ne sont pas là il faut aller à eux. La tâche est grande, difficile. Il donne des statistiques : 80% de la population sont des baptisés ; 62% se déclarent orthodoxes ; 10% sont pratiquants. Ces chiffres se comparent avec ceux de la France. Pourtant, la grande différence entre les deux pays c’est que, rattachée à Rome, l’Église de France, qui peine en pleine sécularisation, est constamment confortée et confirmée ou corrigée par le successeur de Pierre tandis que l’Église orthodoxe russe est constamment menacée par un nationalisme religieux qui peut lui couper les ailes.

Le lendemain, messe concélébrée à l’église Saint-Louis, près de la rue où Dieu m’appela au sa­cerdoce il y a 11 ans, soit deux années avant l’ordination à Rome le 13 mai 2001. L’Église catholique se fait discrète en Russie, son journal a disparu, et l’Institut St-Thomas d’Aquin est devenu St-Thomas l’apôtre pour ceux qui doutent.

Pourquoi Jean-Paul II avait-il fait dire  « qu’il n’oublie pas la Russie » ? Je ne parle même pas cette belle langue russe, mais j’aime ce pays et ses habitants.

Don Patrick de Laubier +