Aujourd’hui dans l’Eglise nous entendons souvent dire : il n’y a plus de vocations ! Vous avez beaucoup travaillé sur cette question. Qu’en pensez-vous ?
Il y a encore des vocations bien sûr mais il faut pouvoir les discerner et les repérer. Comment accéder davantage à ce que j’appelle les nappes phréatiques de notre existence humaine, de notre existence spirituelle, chrétienne et ecclésiale ? Selon les Ecritures et peut-être encore davantage d’après le Concile Vatican II, tout être humain a une vocation. Une vocation humaine. Le plus grand miracle, c’est d’être mis au monde, d’exister, de pouvoir donner forme à son existence, de faire face à plusieurs carrefours tout au long de la vie et finalement de pouvoir entendre toujours plus cet appel qui vient de Dieu. Cet appel dit à chacun de nous pour quoi il est fait dans sa propre vie. De ce point de vue là, il y a une prodigieuse richesse dans l’humanité. Evidemment tout homme, toute femme, ne sont pas appelés à devenir chrétiens. C’est là qu’apparaît peut-être une deuxième définition du terme vocation.
Laquelle ?
La vocation proprement chrétienne qui est au service de la vocation humaine. Et à l’intérieur de la tradition chrétienne il y a une multitude de vocations particulières. Donc un des premiers objectifs de mon ouvrage est, d’une part de dire clairement qu’il y a autant de vocations qu’il y a d’êtres humains, et d’autre part de dire clairement que la vocation chrétienne et les vocations particulières que nous avons, sont toutes au service de cette vocation qu’a tout être humain.
Dans votre livre vous évoquez des grands récits de vocation, par exemple celui du petit Samuel dans les Ecritures (1 Samuel 3, 1-19).
J’aime beaucoup ce récit qui est fondateur à la fois pour moi et pour cet ouvrage. Il y a une première distinction très importante à faire. Quand on utilise le mot vocation, on peut immédiatement penser au résultat, c’est-à-dire la vocation sacerdotale, la vocation religieuse, la vocation d’être médecin, etc. Mais on peut aussi, dans ce substantif, entendre le verbe : appeler. La vocation n’est pas quelque chose qui tombe d’en haut mais qui résulte de tout un processus. Et pour comprendre ce processus il faut lire les récits bibliques et notamment celui de Samuel.
Pourquoi ?
Parce que ce qu’il entend est évidemment bien préparé par son histoire, son histoire familiale, et par sa rencontre avec le prêtre Héli qui est pour lui, d’une certaine manière, une figure parentale. L’enjeu fondamental de toute écoute véritable d’une vocation, d’un appel, de l’écoute de la voix de Dieu, est de savoir distinguer à un moment donné la voix proprement parentale, celle du père, celle de la mère, et la voix de la conscience, la voix même de Dieu. C’est un très long processus parce que pour donner forme à notre vie, nous avons besoin d’images et les premières images que nous avons ce sont celles de nos parents ou celles d’autres passeurs dans l’existence que nous désirons imiter. Jusqu’au jour où nous découvrons à l’intérieur de nous mêmes quelque chose d’absolument unique, d’inimitable. C’est là où la véritable voix de Dieu, en nous, peut se frayer son chemin et être entendue par nous.
Ces vocations peuvent être multiples ?
Dans nos communautés chrétiennes, il existe beaucoup de générosité. Des personnes sont prêtes à rendre tel ou tel service, animer les liturgies, rendre des services de charité, visiter les malades, etc. La liste est très longue mais on ne doit pas immédiatement relier ces tâches à une vocation. Mais vous avez aussi des gens qu’on appelle pour faire ceci et cela pendant un certain temps puis qui, après, se prêtent à d’autres tâches et qui à travers tout cela découvrent en elles un désir extrêmement profond de rendre l’Evangile présent là où ils sont dans la société, dans leur travail et aussi dans leurs communautés. Je pense que nous avons intérêt à dire à ces personnes ce qu’elles sont devenues à travers les services qu’elles ont rendus pour qu’elles découvrent davantage le fil rouge de leur existence, que j’appelle vocation. Mais dans mon livre, j’établis aussi un certain nombre de critères extrêmement précis d’appels car il ne faut pas faire n’importe quoi.
Les appels particuliers sont généralement entendus comme des appels à la vie religieuse au sens large. Qu’en pensez-vous ?
Je parle de ce qu’on appelle parfois la théorie des charismes chez l’apôtre Paul où l’on trouve des listes des services, des tâches, des fonctions qui sont exercées dans la communauté. Saint Paul dit que tous ces dons donnés par Dieu à son Eglise sont établis pour l’édification du Corps du Christ et il note que les dons les plus humbles, les moins nobles sont sans doute les plus importants. Il s’agit donc de bien regarder ce que Dieu donne aux communautés. Parmi ces dons, il y en a certains qui sont apostoliques comme l’apôtre, l’évangéliste, celui qui guide la communauté. Ce sont des dons particuliers et uniques et, précise saint Paul, de l’ordre de la disposition divine. Tous les ministères dans l’Eglise, le ministère apostolique, le ministère pastoral, etc. sortent de cette distinction qui s’est imposée progressivement à travers l’histoire. Il n’y a pas d’Eglise sans ministère apostolique, c’est absolument évident, mais autour de lui beaucoup d’autres peuvent émerger selon la situation historique dans laquelle nous sommes.
Rien n’est donc fixé une fois pour toutes ?
Bien entendu car c’est le principe qui est important : Dieu donne aux communautés ce dont elles ont besoin. Il faut donc, et c’est fondamental, une autorité apostolique dans toute communauté pour la raison simple qu’aucune n’est maitresse de l’Evangile. L’Evangile vient de l’extérieur et doit être annoncé à la communauté par quelqu’un qui est autorisé. Même Jésus n’annonce pas l’Evangile en son propre nom mais toujours au nom du Père : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jean 17, 18).
Propos recueillis par Henri Couturier pour RCF Haute-Normandie
(*) « Vous avez dit vocation ? » – Editions Bayard (février 2010) – 252 pages – 19 €
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Les Jeudis du Centre Théologique Universitaire
Conférences-débats – Cycle 2010/2011
« SIX HALTES POUR REPRENDRE SOUFFLE »
Jeudi 27 janvier 2011 à 20 h.
Centre diocésain, 41 route de Neufchâtel à Rouen
(participation : 5 €)
5e conférence :
« Vous avez dit vocation ? »
avec le Père Christoph Theobald,
jésuite, professeur de théologie et rédacteur en chef de la revue « Recherches de Science Religieuse »
Constatant que le discours ecclésial se réduit trop souvent à promouvoir la seule vocation sacerdotale ou religieuse, le Père Christoph Theobald propose à chacun de réfléchir à sa vocation propre d’être humain. Il montre l’originalité de la vocation chrétienne et indique les conditions pour que chaque chrétien trouve sa vocation dans l’Eglise, cette dernière se construisant par les ministères et des charismes.
Entré chez les jésuites à 32 ans après avoir été enseignant, le Père Christoph Theobald a quitté son pays, l’Allemagne, pour la France. Cet itinéraire atypique l’a amené à se poser la question de sa propre vocation. Son récent livre Vous avez dit vocation ? (Editions Bayard – 252 pages – 19 €) lui permet d’explorer ce thème essentiel.
Auteurs de très nombreux ouvrages et articles, professeur de théologie fondamentale et dogmatique aux Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres), il travaille principalement l’histoire de l’exégèse (19e et 20e siècle, Modernisme) et l’histoire des dogmes, la théologie fondamentale et dogmatique (christologie, trinité, création, anthropologie, ecclésiologie), dans le domaine de l’esthétique et en théologie pastorale.
Il accompagne aussi une formation de jeunes professionnels qui s’interrogent sur leur avenir.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Conclusions provisoires du Synode sur la Parole de Dieu
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ