Le pape François ne cesse de penser à comment construire la paix en Syrie, quelle contribution apporter, et comment soulager les populations. C’est dans cette perspective qu’il a lancé, dans l’avion qui le ramenait de Cracovie à Rome, qu’il ne faudrait pas identifier islam et violence.
Ces paroles ont besoin d’un décryptage. Il faut rappeler ce que le Pape a vraiment dit, en le mettant en perspective, par exemple avec son affirmation, dans un message vidéo, que la paix est possible en Syrie : si islam égale violence, comment espérer la paix ?
Nous donnerons aussi des exemples de musulmans qui refusent la violence, au prix de leur vie. Même s’il n’y en avait qu’un, par respect pour lui, il ne faudrait pas identifier islam et violence. Les jeunes ont besoin qu’on leur présente une autre façon de vivre l’islam : qu’on leur présente ces exemples authentiquement héroïques, en faveur de la vie et non de la mort.
On essayera de comprendre aussi ce que le Pape a dit de la violence en terre catholique, refusant pourtant d’identifier, évidemment, violence et christianisme. Chemin faisant on essayera de comprendre des codes de lecture des propos d’un pape argentin et jésuite. C’est la première fois qu’un pape vient du sud du monde, et qu’il est fils de saint Ignace : il y a peut-être là des éléments qui déroutent.
Ce qui a été dit
Le pape François dénonce des causes profondes du terrorisme, dans son entretien avec la presse, sur le vol du retour Cracovie-Rome, dimanche 31 juillet 2016, notamment le manque de transmission de valeurs aux jeunes en Europe ou le terrorisme du « dieu argent », mais aussi le « terrorisme tribal en Afrique » et la violence en milieu catholique.
À Cracovie, samedi, 30 juillet, le pape vient de prier Dieu d’éloigner la violence et le terrorisme, et il a invoqué la paix, en l’église Saint-François où sont vénérées les reliques de deux martyrs franciscains polonais Zbigniew Strzałkowski et Michał Tomaszek, prêtres, victimes de la violence des miliciens du « Sentier lumineux » en 1995 au Pérou.
Et, dans l’avion, interrogé sur l’assassinat du père Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray (France), le 26 juillet, par deux jeunes se réclamant de Daech, le pape a refusé « d’identifier l’islam avec la violence ».
Il s’en est expliqué : « Je n’aime pas parler de violence musulmane, parce qu’en feuilletant les journaux je vois tous les jours des violences, ici, en Italie : celui qui tue sa fiancée, un autre qui tue sa belle-mère… Et ce sont des catholiques baptisés ! Ce sont des catholiques violents. Si je parlais de violence musulmane, je devrais parler de violence catholique. Tous les musulmans ne sont pas violents. (…) Il y a de tout. Il y a des violents de ces religions. »
« Une chose est vraie, ajouté le Pape, dans cet échange improvisé, je crois que dans presque toutes les religions, il y a toujours un petit groupe fondamentaliste. Fondamentaliste. Nous, nous en avons. Et quand le fondamentaliste en arrive à tuer – mais on peut tuer avec la langue, et cela c’est l’apôtre Jacques qui le dit, pas moi, et avec un couteau –, je ne crois pas que ce soit juste d’identifier l’islam avec la violence. Ce n’est pas juste et ce n’est pas vrai. »
Le Pape a évoqué son dialogue avec l’imam de l’université égyptienne de Al-Azhar qui est venu en visite au Vatican le 23 mai, et qui s’est rendu à Paris le lendemain pour déposer des fleurs et prier devant le Bataclan, un des lieux de l’attentat du 13 novembre 2015 : « Je sais ce qu’ils pensent, a confié le Pape : ils cherchent la paix, la rencontre. »
Le Pape a cité deux exemples, le premier, le récit d’un nonce : « Le nonce d’un pays africain me disait que dans la capitale où il est, il y a toujours une file de gens – c’est toujours plein – à la Porte sainte pour le Jubilé et certains viennent dans les confessionnaux, d’autres prient sur les bancs. Mais la majorité avance jusqu’à l’autel de la Vierge Marie pour prier. Ce sont des musulmans qui veulent faire le Jubilé : ce sont des frères. »
Le second exemple du Pape est tiré de sa propre expérience : « Quand je suis allé en Centrafrique, je suis allé auprès d’eux. Et l’imam est même monté dans la papamobile. On peut vivre ensemble, bien. Mais il y a des petits groupes fondamentalistes. »
Puis le pape a Posé une question de fond, dénonçant l’absence de transmission de valeurs aux jeunes en Europe : « Je me demande aussi : combien de jeunes – combien de jeunes ! – nous, Européens, nous avons laissés vides d’idéaux, qui n’ont pas de travail, et se tournent vers la drogue, vers l’alcool, et vont là-bas et s’engagent dans des groupes fondamentalistes. »
Daech fait partie de ces groupes fondamentalistes dont la violence est la « carte d’identité » ajoute le Pape : « Oui, on peut dire que le soi-disant Isis est un État islamique qui se présente comme violent, parce que quand il nous fait voir sa carte d’identité, il nous fait voir, comme sur les côtes de Libye, comment ils ont égorgé des Égyptiens ou d’autres. Mais c’est un petit groupe fondamentaliste, qui s’appelle Isis. On ne peut pas dire, je crois que ce n’est ni juste ni vrai, que l’islam soit terroriste. »
Le terrorisme, déplore le Pape « est partout » : « Pensez au terrorisme tribal de certains pays africains… »
Il dénonce aussi un autre terrorisme, celui du « dieu argent » : « Le terrorisme – je ne sais pas s’il faut le dire, parce que c’est un peu dangereux – grandit quand il n’y a pas d’autre option. Quand au centre de l’économie mondiale il y a le dieu argent et non la personne – l’homme et la femme – : c’est déjà le premier terrorisme. Tu as chassé la merveille de la Création, l’homme et la femme, et tu as placé là l’argent. Voilà le terrorisme de base, contre toute l’humanité. Réfléchissons-y. »
Agir, c’est l’urgence
Une prémisse : le pape François ne parle pas en théorie, il se situe au niveau réaliste, concret, des situations. Il ne fait pas d’affirmations théoriques sur l’islam, il se situe au niveau de l’action.
Une autre prémisse : l’action « ensemble », c’est déjà une façon de prévenir le basculement de l’autre dans la radicalisation. Les décennies de dialogue avec l’islam en cette visée : que les liens d’amitié tissés, que la connaissance et le respect mutuel développés soient des anticorps à tous les virus de violence et de division. On l’a vu lors du discours de Ratisbonne en 2006 : les réseaux de la diplomatie vaticane se sont activés immédiatement et les musulmans ont compris et ils ont arrêté leurs protestations. Le président iranien Ahmadinejad a lui-même créé la surprise en s’exprimant alors en faveur du pape Benoît.
Ce qu’avait dit Benoît XVI peut se résumer en deux affirmations simples, même si les 12 pages d’allemand étaient, pour des universitaires et niveau Bac+10. Il a d’ailleurs été prononcé un jour où le pape avait donné une homélie solide le matin et devait prononcer un discours œcuménique important le soir : préparer une analyse correcte, c’était quasi-mission impossible pour les rédactions non germanophones qui avaient le discours au dernier moment. Deux point donc : 1) la raison sans la foi s’enferme en elle-même et se condamne à ne pas pouvoir dialoguer avec la majorité de l’humanité qui est religieuse. 2) Mais la foi sans la raison, c’est la porte ouverte à tous les fondamentalismes intégristes. Et dans les deux cas, on engendre la violence.
Le dialogue a repris car foi et raison sont des alliées qui supposent le dialogue. Or justement c’est à la culture de la rencontre, à la culture du dialogue que le pape François appelle sans cesse. Deuxième prémisse. Le pape parle au niveau de l’action concrète et pour l’action ensemble.
Troisième prémisse : le Pape a pour objectif la paix et la paix partout. Ses propos veulent toujours apporter une pierre à l’édifice de la paix. Il l’a dit aussi dans son message aux médias pour la journée mondiale des communications : être artisan de miséricorde aussi dans nos paroles, y compris sur les réseaux sociaux. Une communication dans la miséricorde et en vue de la paix et du bien commun, voilà la troisième prémisse.
La paix est possible, il faut agir
Après ce préambule, un petit rappel du message du 5 juillet pour la campagne de Caritas Internationalis justement en vue de la paix en Syrie : la paix est possible dit le pape. « Je souhaite aujourd’hui vous parler d’une chose qui m’attriste le cœur : la guerre en Syrie, qui est entrée dans sa cinquième année. C’est une situation d’indicibles souffrances dont le peuple syrien est victime, contraint à survivre sous les bombes et à fuir vers d’autres pays ou zones en Syrie moins déchirées par la guerre ; ils quittent leur maison, tout… Je pense aussi aux communautés chrétiennes, à qui va tout mon soutien, à cause des discriminations qu’ils ont à subir. »
Il y dénonce le commerce des armes : « Voilà, je souhaite m’adresser à tous les fidèles et à ceux qui s’impliquent, avec Caritas, dans la construction d’une société plus juste. Alors que le peuple souffre, des quantités incroyables d’argent sont dépensées pour fournir des armes aux belligérants. Et certains des pays fournisseurs de ces armes font aussi partie de ceux qui parlent de paix. Comment peut-on croire en ceux qui, avec la main droite, vous caressent et avec la gauche, vous frappent ? »
Il invite à lutter contre toute forme de fatalisme : « J’encourage tout le monde, adultes et jeunes gens, à vivre avec enthousiasme cette Année de la Miséricorde, afin de vaincre l’indifférence et de proclamer avec force que la paix en Syrie est possible ! La paix en Syrie est possible ! Pour cela, nous sommes appelés à incarner cette Parole de Dieu : « Car je sais, moi, les desseins que je forme pour vous – oracle de Yahvé – desseins de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. » (Jérémie 29 :11). »
La prière, certes, et des actions auprès des gouvernants à partir de la base pour qu’ils bougent en faveur de la paix de façon capillaire et jusqu’au niveau international – quel programme électoral inclura cet objectif et les moyens pour l’atteindre ? – : « Je vous incite donc à prier pour la paix en Syrie et pour son peuple, durant les veillées de prière, les initiatives de sensibilisation de groupes, dans les paroisses et dans les communautés, pour diffuser un message de paix, un message d’unité et d’espérance. Que la prière soit suivie des œuvres de paix. Je vous invite à vous adresser à ceux qui sont impliqués dans les négociations de paix, afin qu’ils prennent ces accords au sérieux et s’engagent à faciliter l’accès à l’aide humanitaire. Tous, nous devons reconnaître qu’il n’y a pas de solution militaire en Syrie ; il n’y a qu’une solution politique. La communauté internationale doit donc soutenir les pourparlers de paix, en direction de la construction d’un gouvernement d’unité nationale. Unissons nos forces, à tous les niveaux, pour rendre la paix possible dans notre bien-aimée Syrie. Ce serait là un exemple grandiose de miséricorde et d’amour vécu pour le bien de toute la communauté internationale ! Que le Seigneur vous bénisse et que sa Sainte-Mère vous protège. »
Les conséquences du conflit syrien ou irakien sont évidentes en Europe : la paix est urgente pour tous, et pour ces populations d’abord. Et face aux familles contraintes d’abandonner la Syrie sous la pression des bombardements, des familles qui ont tout perdu, le pape ne fait pas acception de personne : lorsqu’il va à Lesbos il fait venir en Italie des familles avec des enfants. On lui a reproché que ce n’étaient pas des chrétiens. C’est faire un procès d’intention. Sont reparties dans l’avion du pape des familles dont les papiers étaient en règle ! Lorsqu’il fait de nouveau venir des familles quelques semaines plus tard, même raison : des enfants, et des papiers en règles, tous ne sont pas chrétiens, et parmi les chrétiens, tous ne sont pas catholiques. Lorsque le pape met en pratique Matthieu 25, qu’il donne de quoi manger et de quoi se vêtir, il ne demande pas la religion ni des parents ni des enfants. Il met en œuvre la parole du Christ. Le Pape sait que cinq ans de guerre ont détruit la vie de ces personnes et qu’il faut tout faire pour en arracher le plus possible à l’enfer des camps, il donne l’exemple. Une limite mise à la violence par la miséricorde.
Les familles musulmanes qui ont refusé l’allégeance à Daech sont déjà pour le Pape une bonne raison de ne pas identifier islam et violence : les musulmans non violents ont payé de leur vie le refus d’allégeance. Des adolescents musulmans ont été crucifiés par Daech en Syrie.
Des refus héroïques de la violence
Il y a d’autres exemples de ce refus héroïque de la violence terroriste. Je voudrais citer deux cas, tout d’abord le jeune Faraaz Hossain, de 20 ans, à Dacca, au Bengladesh, lors de la prise d’otage qui a fait 20 morts dont 9 Italiens et 7 Japonais, le 1er juillet. Faraaz Hossain aussi a été pris en otage avec deux amies, Abinta Kabir, des États-Unis, 19 ans, étudiante à l’université Emory, musulmane, originaire du Bangladesh, mais parlant mal la langue de sa mère, et Tarishi Jain, Indienne, étudiante à Berkeley, 18 ans. Etant musulman et étant capable de citer le Coran dans leur langue (Abinta non), il aurait pu se sauver, les preneurs d’otages lui ont dit de partir : il n’a pas voulu sans elles. Des survivants musulmans, libérés, ont témoigné de ce qui s’est passé. Il est mort avec elle, tenant jusqu’au bout de la nuit de les protéger. La noblesse de ce refus de la violence, vécu au prix de sa vie vaudrait à elle seule qu’on n’identifie pas islam et violence. Imtiaz Khan Baboul, père de l’un des terroristes, disant sa honte, et sous le choc, a demandé pardon aux familles en deuil : lui aussi refuse et condamne cette violence.
À illustrer cette volonté, s’il fallait en citer un en France, le peintre Moubine, musulman, qui a brossé un portrait du père Jacques Hamel et l’a offert à la cathédrale de Rouen qui l’expose en permanence.
Autre exemple de ces musulmans qui refusent la violence terroriste, le cas de ce médecin palestinien qui voit une voiture faire des tonneaux sur la route de Hébron à Jérusalem : c’est la voiture d’un rabbin d’une implantation israélienne, le rabbin Michael Mark. Des terroristes viennent de tirer à l’arme automatique. Le rabbin est mort, mais sa femme et deux de leurs dix enfants sont dans la voiture, blessés. Le médecin palestinien allait prier à Jérusalem à la mosquée Al Aqsa sur l’esplanade du temple, avec son frère. Il s’arrête, un autre Palestinien et sa femme se sont arrêtés. Ils ont déjà mis les enfants à l’abri dans leur voiture : les terroristes auraient pu revenir et les tuer ou les enlever. Le médecin les soigne et puis s’occupe de la maman très gravement blessée. Des soldats israéliens arrivent. Il leur crie d’appeler une ambulance israélienne. La maman sera sauvée. Le médecin perdra son travail pour avoir secouru des juifs. Le Palestinien qui avait apporté les premiers secours aussi.
Le Dr Ali Abou Shareh sait qu’il a fait son devoir de médecin. Il a refusé la logique des terroristes qui n’hésitent pas à tirer sur une voiture où voyage une famille. « Mon boulot c’est de sauver les gens parce que ce sont des gens, des êtres humains », dit-il. Il a été limogé pour avoir refusé la violence terroriste.
Pour le geste de ce médecin comme pour le geste de Faraaz Hossain on ne peut identifier tout l’islam avec la violence : au cœur de l’islam, des hommes et des femmes refusent la violence, y compris au prix de leur vie. Les jeunes musulmans ont besoin de ces exemples qui leur montrent un autre chemin, un autre visage que celui de l’islam terroriste.
En Irak, en 2014 , l’Organisation pour la coopération islamique a condamné les violences contre les chrétiens comme un crime qui ne peut pas être toléré.
Lorsque le grand imam Ahmed el-Tayeb d’Al-Azhar, du Caire, la plus grande autorité sunnite, vient rencontrer le pape François, le 23 mai, dans une volonté de dialogue d’autant plus forte qu’il avait été interrompu, il n’arrête pas là son voyage. Il se rend le lendemain à Paris, et, devant le Bataclan, dépose des fleurs, se recueille et prononce une prière condamnant le terrorisme. Quel journal télévisé français en a parlé ? Les jeunes musulmans ont besoin de voir ces gestes. Et tout le monde aussi.
La violence en terre traditionnellement catholique
Mais le Pape fait couler de l’encre aussi parce qu’il dit que si l’on parle de violence musulmane, alors il faudrait aussi parler de violence catholique… Justement, ce qu’il refuse.
Rappelons le contexte. Des faits divers tragiques tout d’abord. La même semaine un Italien avait brûlé vive sa compagne et un autre avait tué sa femme de 12 coups de couteau : on estime qu’en Italie 7 millions de femmes sont victimes de violences. Au point que le terme « féminicide » (« femminicidio », meurtre d’une femme) est entré dans le vocabulaire courant des informations : 76 femmes tuées de janvier à début août, en 2016. Toutes ne meurent pas mais elles porteront toujours les séquelles visibles ou invisibles de l’agression. On dénombre 157 cas d’assassinat de femmes par un mari, un compagnon, un proche, en Italie en 2012, 179 en 2013, 136 en 2014, 128 en 2015. Les chiffres diminuent, des mesures sont prises, mais ils restent accablants.
En terre catholique aussi les assassinats de femmes au Mexique ou les populations terrorisées au Honduras, après 50 massacres, 200 morts, selon l’UNHCR, des milliers en fuite. L’Amérique latine, espérance de l’Église catholique, se révèle violente. On tue, on viole, des petites filles. Le pape latino-américain a cela en tête. Il va falloir se souvenir que le Pape n’est plus Européen et que lorsqu’il parle il a une autre réalité et une autre expérience à l’esprit que la France ou l’Europe occidentale. De même que, lorsqu’il parle de la « saleté » dans l’Église, le Vendredi Saint 2005 au Colisée, le cardinal Joseph Ratzinger ne vise pas les purs, mais l’examen de conscience et le repentir, la conversion là où cette « saleté » existe. Pourtant beaucoup se sont rebellés comme si le futur pape accusait l’Église, comme si dénoncer le mal en son sein allait l’affaiblir. On a vu au contraire que son action en tant que pape – tolérance zéro pour les cas de pédophilie – assure à l’Église des forces nouvelles et une estime nouvelle. Le pape François poursuit sur le chemin indiqué par son prédécesseur : la pédophilie est une violence inacceptable et intolérable, de la part de prêtres ou de religieux encore plus. Des évêques ont été démis de leur charge pour n’avoir pas su réagir adéquatement à cette violence. Le pape François, comme le pape Benoît, a en mémoire les témoignages des victimes qu’il a reçues, écoutées, réconfortées.
Dans l’histoire récente, les tortionnaires de la dictature argentine allaient à la messe et le Pape les a vus : faudrait-il parler de violence catholique ? Ou de violence chrétienne en remontant encore jusqu’aux horreurs des siècles passés ? Les nations soi-disant chrétiennes d’Occident ont entraîné le monde dans deux guerres mondiales : faut-il parler de violence chrétienne ? Plus près de nous le Pape a dénoncé la guerre entre Russie et Ukraine – des milliers de morts – comme une guerre fratricide entre chrétiens.
Et certes, il déplore aussi d’autres violences : la violence des économies qui écrasent les petits, avec ces 12 000 suicides d’agriculteurs indiens endettés, entre 2012 et 2014… Le commerce des armes… Il fait observer le tragique paradoxe : l’aide alimentaire pour les populations mourant de faim se heurte à un mur de bureaucratie douanière tandis que les armes passent sans souci d’un continent à l’autre.
Voilà quelques exemples qui expliquent, dans le concret – encore une fois le πape ne se situe jamais dans l’abstrait – pourquoi il serait faux d’identifier l’islam et la violence. Sinon, en terme de violence, les terres catholiques ne sont pas en reste ni hier, ni aujourd’hui.
Le Pape ne se prononce pas sur l’essence de l’islam ou l’essence du christianisme, il déplore seulement que la violence soit aussi présente au cœur des nations soi-disant chrétiennes, baptisées…
Or, si l’on identifie quelqu’un ou une catégorie avec le mal, alors le dialogue devient impossible : et seul le dialogue peut ramener la paix et la coopération en vue du bien commun. Si au contraire, la porte reste ouverte, la connaissance mutuelle et le respect peuvent créer des liens capables d’empêcher le basculement dans la violence.
Lorsqu’on parle de l’Église catholique, ici, en France, on a à l’esprit d’admirables engagements et les chrétiens d’Orient, martyrs. On a en tête les mouvements de renouveau catholique extraordinaires que l’Église a vécus depuis un siècle, porté par des grands mystiques comme Marthe Robin ou le père Marie-Eugène, les grandes apparitions de Marie aux XIXe et XXe s., l’engagement du catholicisme social… C’est très particulier. La France a été comme miséricordieusement protégée. La réaction à l’assassinat du père Hamel a été exemplaire.
Or, quand le pape Parle de l’Église, il a sous les yeux, comme le cardinal Ratzinger en 2005, la situation dans le monde entier, pas seulement la « Fille aînée ». Lorsqu’il évoque la violence en terre catholique, c’est d’ailleurs pour dire : le fait qu’il y a de la violence dans l’Église devrais-je parler de violence catholique ? Certes, non !
On peut contester le fait que tel meurtrier ne soit authentiquement « catholique » même si en terre catholique, baptisé et confirmé, marié à l’église. Mais beaucoup de musulmans contestent aussi que les égorgeurs au Nom de Dieu soient de vrais musulmans. Certains diagnostiquent : ce sont « les nazis de l’islam ».
Le Pape ne se situe pas au niveau abstrait de savoir d’où vient la violence (idéologique ou pulsionnelle…): il y a dans tous les cas la patte de celui qui est « homicide dès le commencement » et il la condamne également quelle que soit son origine, et il invite l’Église à ne pas se croire dispensée en son sein de ce combat contre la violence. Mais il dit bien qu’il refuse de parler de « violence catholique » sous prétexte qu’il y aurait des violents parmi les catholiques. Ce qu’il vise c’est l’examen de conscience et la conversion des violents. Car c’est possible : d’anciens terroristes ont bénéficié de manifestations du Christ qui les ont fait renoncer à la violence.
À l’angélus du 14 août le Pape a dénoncé l’esclavage dont les femmes sont l’objet : notamment l’esclavage de la prostitution. Là encore il sait que des catholiques sont parmi les « clients » qui entretiennent le cercle de l’esclavage.
Dans la très catholique Irlande, la révélation de l’ampleur de la pédophilie – violence s’il en est – fut un séisme, comme en témoigne la lettre de Benoît XVI aux catholiques d’Irlande.
L’examen de conscience, en marche vers Assise
Enfin, c’est le point, quand les papes dénoncent, c’est d’abord en vue d’un examen de conscience, d’un repentir, d’une conversion, un renoncement à ce qui est contraire à l’Évangile : qui est sans faute doit être bien tranquille et ne pas se sentir accusé, mais prier pour le pape qui ose dénoncer et pour que la parole soit efficace.
Quand François met en garde la curie romaine contre les « maladies de l’âme » dont il fait une liste dans la plus grande tradition spirituelle (Évagre le Pontique…), il n’accuse pas tous dans la Curie d’avoir tous ces maux, il leur propose cette grille en vue de s’examiner et il signale les dangers inhérents à ce service.
C’est une clef de la spiritualité des jésuites que l’examen de conscience, pratiqué chaque jour. Qui s’examine et est trouvé sans faute sur les points sur lesquels il s’examine, est sans faute ! Deo gratias. Mais il faut s’examiner. En quelque sorte, le Pape allume un voyant : « attention danger spirituel sérieux ». Le rapport à la violence sous ses différentes formes en est un. Il renvoie chacun à sa conscience en vue d’une progression dans l’amour. Il ne veut pas qu’on s’arrête de progresser. Qu’on soit assis et satisfaits de soi. Il ne s’arrête pas aux batailles gagnées, il regarde le prochain objectif, il continue sa marche sans s’arrêter. Comprendre que pour la première fois dans l’histoire de l’Église un jésuite guide la barque de Pierre et reconnaître qu’on ne sait pas ce que cela signifie, est important pour apprendre à comprendre. C’est une nouveauté. Connaître saint Ignace de Loyola et l’histoire de la Compagnie de Jésus ou même faire une fois, même brièvement, les Exercices spirituels de saint Ignace pourrait être très éclairant sur comment le Pape « fonctionne » de l’intérieur. Pour fortifier la communion avec Pierre, la confiance en Pierre, sur qui l’Église repose, « le doux Christ en terre », disait un docteur, Catherine de Sienne.
Le Saint-Père part le 20 septembre à Assise, prolonger sa prière de Cracovie à l’église Saint-François, avec des représentants d’autres religions et des non-croyants qui ont à la paix à cœur, et pour marquer ainsi le 30e anniversaire de l’initiative de saint Jean-Paul II, à l’école du Poverello, et dans le sillage de Benoît XVI : « Je vous en prie, n’oubliez pas de prier pour moi », a-t-il demandé aux jeunes de la JMJ.
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