Faut-il épiloguer sur ce qu’on appelle la reculade du gouvernement à propos de son projet de loi sur la famille ? Bien sûr, elle met dans une colère indescriptible tous ceux qui s’estiment désavoués et qui trouvent insupportable qu’on ait pris en compte les sentiments d’une partie de la population qui n’adhère pas à ce qu’on pourrait appeler le progressisme obligatoire. Moi qui croyais que la démocratie c’était d’abord la discussion qui donne droit aux uns et aux autres d’exprimer leurs opinions et de les échanger ! J’avais sans doute trop lu Habermas. La lecture de mes confrères me contraint à me confronter à cette idée qu’il n’y a qu’une seule opinion qui vaille, c’est celle qui s’identifie au progrès. Ceux qui s’y opposent ont droit à tous les qualificatifs. J’en relève quelques uns puisés dans un seul numéro du Monde : rétrograde, réactionnaire, hystérique, populiste, activiste, et j’en passe.
Je pourrais succomber moi-même au démon de la polémique, en rappelant que sous le camarade Staline, l’incrimination sous le chef de ces qualificatifs vous envoyait immanquablement au goulag. Plus calmement, je rappellerai que c’est sous ce genre de quolibets que Soljenitsyne fut accueilli par notre camp progressiste dans les années soixante-dix. Mais plus mezzo voce encore, je m’adresserais à ce confrère qui m’explique doctement que ma résistance au progressisme viendrait de mon opposition acharnée à l’émancipation féminine et à « la mise en œuvre effective de l’égalité des sexes dans la vie politique, économique et sociale ». Je me frotte quand même un peu les yeux. Serais-je moi-même une sorte de patriarche qui maintiendrait un ordre sexiste implacable dans ma propre famille ? Cher confrère, la plus terrible réponse que je pourrais vous d’adresser serait de vous envoyer mes propres filles, pour une explication qui pourrait être cinglante. Rassurez-vous, je n’aurai pas cette cruauté.