Faut-il voir dans le succès remporté par François Fillon, au premier tour de la primaire de la droite, la marque d’une évolution conservatrice du pays, qui rejoindrait une tendance générale du monde actuel ? C’est le sentiment, en tout cas, de plusieurs éditorialistes, notamment ceux du Monde et du Figaro. Le premier écrivait hier que François Fillon « cochait toutes les cases d’une droite traditionnelle, solide et sérieuse, provinciale et catholique, notable et bien élevée ». Ce qui caractériserait le conservatisme sur le terrain culturel. Quant à Alexis Brezet, du Figaro, il souligne que le même Fillon « a su s’installer sur les thèmes conservateurs qui ont le vent en poupe à droite (et pas seulement) ». Et de citer en exemple son livre sur le totalitarisme islamique, ses gestes en direction de La Manif pour tous et de l’électorat catholique (N’ayez pas peur ! les mots de Jean-Paul II), ses prises de position sur l’école et sur la Russie, ses coups de griffes contre les journalistes et la politique spectacle.
Assisterait-on, du même coup, à une sorte de révolution sémantique ? En effet, il me semble qu’en France le mot conservateur n’a été que rarement reçu de façon positive, à l’encontre de la culture politique anglo-saxonne. On peut citer néanmoins quelques exceptions, comme celle d’Auguste Comte avec son célèbre appel aux conservateurs, le fondateur du positivisme cherchant à persuader le général des jésuites de rejoindre un mouvement commun où les athées et les catholiques pourraient participer de la même défense des valeurs d’ordre. L’alliance envisagée était des plus problématiques et l’on imagine mal quels prolongements elle pourrait avoir.
On peut envisager les choses autrement, dans un autre registre intellectuel. George Orwell, réputé homme de gauche, ne craignait pas de se définir comme un « anarchiste conservateur ». Ainsi s’opposait-il à une sorte de credo progressiste du type de celui qui est partagé par ceux qui sont persuadés aujourd’hui que le sens de l’histoire nous oriente forcément vers une mondialisation heureuse. Le conservatisme prend alors un sens très précis, comme défense des valeurs permanentes qui donnent une saveur particulière à la vie des communautés humaines. Il s’agirait d’une sorte de roc anthropologique. Mais est-ce bien dans cette acception qu’il faut entendre ce que Le Monde appelle « la vague conservatrice de dimanche » ?
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 22 novembre 2016.