Le Tour de France est bel et bien parti, et j’ai envie d’ajouter qu’il est très, très bien parti. Pour la première fois, il a sillonné les routes de l’île de Beauté, ce qui nous a valu un festival d’images époustouflantes, qui manquait à notre émerveillement estival. Et dire que Raymond Barre voulait que la Corse fasse sécession ! C’est vrai qu’il s’y passe trop souvent des choses tout à fait répréhensibles. Mais est-ce une raison pour couper le membre « coupable » ? C’est bien d’ailleurs le problème du Tour de France, qu’au nom d’une morale de la perfection, quelques consciences distinguées auraient aimé carrément suspendre. Oui, évidemment, le dopage, ce n’est pas joli, joli. C’est très moche, cela a des conséquences redoutables pour la santé des champions. Chacun a ses exemples en tête, du pauvre Simpson mort d’overdose dans le Ventoux à Pantani, disparu pour avoir cumulé tous les excès.
Est-ce pour autant qu’il faut dézinguer le Tour de France, l’arracher à notre légende nationale, le dépoétiser, ne serait-ce qu’en rappelant que son grand aède, Antoine Blondin, avait lui-même une fâcheuse propension aux alcools forts, pas seulement au terme des étapes que sa plume enchantait à la une de l’Équipe ? Pardonnez-moi, mais j’ai envie d’être très politiquement incorrect une bonne fois contre ce que le cher Philippe Muray appelait l’empire du Bien et qui n’était que sa grimace caricaturale.
On me rétorquera : si vous êtes éditorialiste à Radio Notre-Dame, c’est pour prêcher la vertu chaque matin à vos auditeurs contrits. Certes, on ne m’a pas demandé de plaider pour le dopage, l’alcoolisme ou la concussion. Mais je crois très profondément que l’idéal de la sainteté n’a pas grand chose à voir avec une perfection toute humaine assez bouffie d’orgueil et dépourvue d’indulgence pour les faiblesses de notre pauvre humanité. C’est pourquoi je partagerais assez la colère d’un Bernard Hinault, fulminant contre ceux qui, à force de vertuisme, démolissent le Tour. Qu’on se batte contre cette lèpre du dopage, d’accord, mais sans avoir l’inconséquence de prôner en même temps la performance absolue. Lutter contre les maux et les vices ne doit pas conduire, ainsi que l’écrivait encore Philippe Muray, avec ce sens de la formule qu’il partageait avec Blondin, à ce vaste édifice radieux et définitif qui pourrait s’appeler la Prison de la Santé.