Eugénie Bastié, de FigaroVox, a eu l’excellente idée d’interroger le frère dominicain Adrien Candiard, par ailleurs islamologue, afin de bénéficier de ses conseils éclairés sur une religion qui provoque perplexité et crainte. Son discernement est particulièrement bienvenu en cette période où les opinions s’entrecroisent avec vivacité. Non, l’islam ne saurait se ramener à des catégories sommaires. Sa réalité très complexe invite à tenir compte de ses différents visages, et à repousser la tentation consistant à ne retenir que celui qui nous convient. Le frère Candiard met en particulier l’accent sur le contraste entre le salafisme « version à la fois moderne et intolérante de l’islam » et une pratique traditionnelle nettement plus à l’aise avec la diversité. Mais ce sont surtout ses propos de conclusion que nous aimerions retenir sur la nécessité urgente à revenir, musulmans, chrétiens, agnostiques, athées, à la théologie sérieuse.
Pas une théologie simplifiée, pas un catéchisme, mais une théologie définie comme « appréciation rationnelle et académique des contenus de la foi que la France a exclue de l’Université à la fin du XIXe siècle. Cette exception française explique en partie notre désarroi, croyants ou non-croyants, devant les phénomènes religieux, que nous ne sommes pas armés pour comprendre, plus dramatiquement, cela rend aussi les jeunes plus manipulables par des discours religieux aberrants. Une religion n’est pas seulement un folklore et des traditions (…). Une religion, ce sont aussi des convictions, des opinions, des idées. Il n’y a pas seulement un fait religieux, mais également une pensée religieuse, des pensées religieuses. Il y a urgence à replacer le débat à ce niveau : celui de la discussion rationnelle. On ne résoudra pas la crise que traverse l’islam sunnite à la place des musulmans, ni en leur dictant ce qu’ils doivent croire. Mais on peut les aider en plaçant le débat au bon niveau, plutôt que par des polémiques estivales dérisoires ».
Cette distinction entre le fait religieux et la pensée religieuse renvoie à l’ambiguïté de la formule employée par ce cher Régis Debray, auteur d’un rapport célèbre sur l’apprentissage du fait religieux à l’école publique. Dès que l’on approfondit ce qui est d’abord perçu comme un phénomène à décrire, un approfondissement doctrinal s’impose nécessairement, qui requiert les disciplines correspondantes : exégèse, dogmatique, histoire du développement des dogmes… Les réserves que s’impose à ce sujet un enseignement laïque se trouvent rapidement transgressées. Mais on ne peut pas faire le travail à moitié. La volonté de faire progresser les connaissances, dans le but notamment d’éviter aux jeunes de suivre des voies dangereuses, ne peut se passer du concours des théologiens, ceux qui placent le débat au bon niveau. Pierre Manent avait déjà insisté sur ce point, en signalant le rôle que pouvait jouer l’Église catholique en France en venant à l’aide de la puissance publique, à cause de sa connaissance spécifique de l’islam. Arrive un moment où la laïcité intelligente requiert l’aide éclairée du religieux.
Pour aller plus loin :
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- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
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