Dans une précédente chronique, j’ai mentionné une de mes explications à propos des anges : ils font presque tout dans l’anonymat.
On n’a pas à les remercier. C’est un des avantages qu’ont les anges sur nous mortels ici-bas. Ils n’ont pas besoin de recevoir des remerciements, ce que beaucoup d’humains pourraient déclarer pesant.
Car cette sorte de remerciement est transactionnelle ( il y en a de beaucoup de sortes, dont certaines très bonnes.) Je le sais par expérience personnelle.
On veut quelque chose. On l’obtient. On remercie celui qui a procuré le bienfait. Et s’il ne renouvelle pas son geste la fois suivante, on pique une colère.
Le « gouvernement providence » qui souvent se pose en ange, aime donner de l’argent gratuitement. Cela rend tout d’abord reconnaissants ceux qui le reçoivent. Mais tout est vite dépensé, et ils en veulent davantage.
Pire encore, le gouvernement providence essaie d’en récupérer, parce qu’il n’a pas les moyens d’en donner autant ; et ceux qui l’avaient reçu deviennent fous furieux. Ils ont des « droits », etc. L’autorité qui l’a donné reçoit des insultes désormais au lieu de gratitude.
Un ange véritable aurait la prudence de ne pas tomber dans ce piège.
Voilà pourquoi, par exemple, je ne demande jamais à un ange de m’aider à gagner à la loterie. Et en fait, je fais un pas de plus, et ne joue jamais à la loterie.
Simplement, je prie pour ceux qui gagnent : pour que peut-être les anges puissent sauver les gagnants d’eux-mêmes, car recevoir de « l’argent gratis » même sans avoir commis de crime, est parmi les choses les plus destructrices et corruptrices qui puissent arriver à quelqu’un.
Seul un démon pourrait souhaiter gagner sur vous. Et lui seul se frottera les mains avec joie quand vous gagnerez. Car, même si vous donnez tout, vous répandez la corruption d’une richesse « gratuite » que l’on n’a pas méritée. (Je l’ai vue détruire plusieurs de mes amis.)
Je dis cela pour faire le point sur quelque chose qu’on ne comprend pas bien de nos jours. Notre attention se porte sur la « transaction », le donnant donnant. Nous sommes des commerçants, entre nous, avec les anges, et finalement avec Dieu.
A propos, ceci n’a rien à voir avec le capitalisme : car cela s’applique encore bien plus fort dans une économie socialiste où le gouvernement providence joue le rôle de Dieu.
Instinctivement, nous voulons d’abord équilibrer le bilan. Ensuite, nous voulons truquer la comptabilité ; recevoir plus en donnant moins. C’est un autre type d’instinct, plus bas : faire baisser les prix. Au mieux, avoir une récompense pour avoir dit « merci » ; et ensuite, on peut éliminer les remerciements. Et finalement, se révolter si la marchandise n’arrive pas rapidement.
Privés de vraie gratitude – qui ne peut pas s’exprimer bruyamment – même nos remerciements deviennent transactionnels. Nous sommes enfermés dans le piège des louanges et du blâme. L’accent passe vite de la première au second.
Les bons anges (je ne parlerai pas des mauvais) détestent jouer à ce jeu. Voilà pourquoi ils répandent des cadeaux et de la chance anonymement, où du moins c’est ce que je déduis. Ils sont au service d’un Dieu qui Lui-même n’est pas transactionnel, et ne peut pas être entraîné vers le « donnant donnant », quelle que soit l’énergie avec laquelle nous cherchions à L’y attirer.
Et les anges n’aiment pas qu’on leur impose des limites. Comme le disait Chesterton, ils peuvent voler, parce qu’ils se prennent avec légèreté.
Quand j’étais enfant, j’ai été impressionné par la scène vue dans les rues de Bangkok, à l’époque où il y avait de nombreux canaux et pas de gratte-ciels.
A l’aube, enveloppés de tissus couleur safran, pieds nus, des moines déambulaient tels des fantômes dans les rues et les ruelles. Ils tenaient des sébiles de mendiants, et avaient été formés à regarder droit devant eux, le regard vide vers l’horizon.
Au « pays du sourire » comme le nommaient les brochures pour touristes, les novices avaient appris à ne pas sourire, à ne pas remarquer qui mettait des paquets de riz ou d’autres nourritures dans leurs bols (souvent ce qu’ils avaient de mieux). C’était (habituellement) la maîtresse de maison qui s’inclinait profondément dans un « wai » de gratitude, en se séparant de ce qu’elle lui donnait.
De la part du moine, aucun « merci », ni de geste de réception, aucun signe de reconnaissance. Pour un occidental, c’était surprenant.
A l’adolescence, je suis devenu un adepte des « religions comparées », j’ai réalisé que, bien que la forme de leurs comportements soit distinctement siamoise et bouddhiste theravada, le principe en était universel.
Pourrions-nous dans notre machine à remonter le temps extraire un moine du moyen âge, il comprendrait cette attitude beaucoup plus vite que la façon de conduire un scooter. Sans même avoir à réfléchir, il comprendrait le côté anonyme des gestes et des actions.
Peut-être voudrait-il apprendre à quel ordre appartiennent ces moines. Il irait peut-être visiter un temple Thai pour le découvrir, pourvu que sa curiosité soit suffisamment forte. On lui offrirait une cellule de visiteur, peut-être celle où j’ai eu l’occasion d’habiter. Ses hôtes dans le temple seraient curieux de lui.
Eh bien, je sens qu’arrive un roman à la Herman Hesse. Je vais laisser tomber ce type de spéculation, ayant seulement, du moins je l’espère, fait faire une avancée modeste à l’idée d’anonymat – une qualité universelle dans la poursuite du bien, et au service de ce qui est au-dessus de nous.
Bien sûr, aujourd’hui, il est difficile pour tout le monde de reconnaître qu’il existe quelque chose au-dessus de nous ; quelque chose qui soit au-delà des transactions et de la Lex Mercatoria ; quelque chose qui transcende les lois qui s’appliquent d’un commun accord, dans le fatras de nos vies quotidiennes. Quelque chose qui soit au-delà des convenances.
Nous voulons en quelque sorte des reçus pour nos paiements. Je ne parle pas des simples reçus fiscaux, pour des dons de charité, ou le ticket de caisse que nous attendons en retour d’un achat quelconque. Nous voulons même du crédit pour notre humilité.
On ne peut pas créditer le compte d’une personne anonyme, bien que je sois sûr que nous avons des experts informatiques qui travaillent pour y arriver. Tout ce que je peux dire c’est qu’il nous faudra payer en espèces ou en nature ; et des prières à ce Seigneur qui voit dans le secret.
En cette époque de Facebook, Instagram, et leurs semblables ; d’invasion constante de la surveillance de l’État et de Google, le « concept » d’anonymat devient difficile à appréhender. Je pense que cela fait partie de la difficulté que présente la compréhension des religions.