Le visage de la miséricorde, « Misericordiae Vultus » : c’est le titre de la « bulle d’indiction » par laquelle le pape François convoque cette Année sainte exceptionnelle — en vingt-cinq paragraphes et une vingtaine de pages —. Des passages ont été lus, le samedi 11 avril, aux premières vêpres du dimanche de la Miséricorde divine, en la basilique Saint-Pierre, auprès de la Porte sainte qui s’ouvrira le 8 décembre. Ils ont été lus également dimanche, 12 avril, dans les trois autres basiliques papales de Rome, auprès des trois Portes saintes : à Saint-Jean, Saint-Paul et Sainte-Marie-Majeure.
« Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. (…) La miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité », affirme le Pape.
Plus encore, « la Miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre » et ce sera le chemin du chrétien vers tout frère.
Le Pape invite à « contempler la miséricorde de Dieu » et à en faire « le style de vie » de l’Église, du chrétien (13). Il donne à l’Année sainte une devise : « Miséricordieux comme le Père ». Pour cela il invite à pratiquer « les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles ».
Dans son homélie aux vêpres de samedi, le Pape explique cette exigence qui s’inscrit dans la logique de Pâques et de la Résurrection : « Ce n’est pas le temps pour la distraction, mais au contraire pour rester vigilants et réveiller en nous la capacité de regarder l’essentiel. C’est le temps pour l’Église de retrouver le sens de la mission que le Seigneur lui a confiée le jour de Pâques : être signe et instrument de la miséricorde du Père. »
Parmi les grandes nouveautés de ce jubilé, le Pape demande qu’une Porte sainte soit ouverte dans chaque diocèse : « Le Jubilé sera célébré à Rome, de même que dans les Églises particulières, comme signe visible de la communion de toute l’Église ».
Lui-même ouvrira la Porte sainte de Saint-Pierre le 8 décembre : « Ce sera une Porte de la Miséricorde, où quiconque entrera pourra faire l’expérience de l’amour de Dieu qui console, pardonne, et donne l’espérance.
Nous passerons la Porte sainte sûrs d’être accompagnés par la force du Seigneur Ressuscité qui continue de soutenir notre pèlerinage », explique le Pape.
« Le pèlerinage, précise-t-il, est un signe particulier de l’Année sainte : il est l’image du chemin que chacun parcourt au long de son existence. (…) Pour passer la Porte sainte à Rome, et en tous lieux, chacun devra, selon ses forces, faire un pèlerinage. Ce sera le signe que la miséricorde est un but à atteindre, qui demande engagement et sacrifice. Que le pèlerinage stimule notre conversion : en passant la Porte sainte, nous nous laisserons embrasser par la miséricorde de Dieu, et nous nous engagerons à être miséricordieux avec les autres comme le Père l’est avec nous. »
Et il annonce qu’il enverra en mission des prêtres « missionnaires de la miséricorde » (18) : « Ils seront le signe de la sollicitude maternelle de l’Église à l’égard du Peuple de Dieu, pour qu’il entre en profondeur dans la richesse de ce mystère aussi fondamental pour la foi. Ce seront des prêtres à qui j’aurai donné l’autorité pour pardonner aussi les péchés qui sont réservés au Siège Apostolique, afin de rendre explicite l’étendue de leur mandat. (…) Je demande à mes frères évêques d’inviter et d’accueillir ces Missionnaires, pour qu’ils soient avant tout des prédicateurs convaincants de la miséricorde. »
Il invite aussi à mettre en évidence « l’initiative appelée « 24 heures pour le Seigneur » du vendredi et samedi qui précèdent le quatrième dimanche de Carême ».
Le Pape s’adresse spécialement aux confesseurs : « Je ne me lasserai jamais d’insister pour que les confesseurs soient un véritable signe de la miséricorde du Père. On ne s’improvise pas confesseur. On le devient en se faisant d’abord pénitent en quête de pardon. N’oublions jamais qu’être confesseur, c’est participer à la mission de Jésus d’être signe concret de la continuité d’un amour divin qui pardonne et qui sauve » (17).
Pour cela le Pape demande l’organisation dans les diocèses de « missions vers le peuple », de sorte que « ces Missionnaires soient les hérauts de la joie du pardon », « qu’ils célèbrent le sacrement de la Réconciliation pour le peuple, pour que le temps de grâce de l’Année jubilaire permette à de nombreux fils éloignés de retrouver le chemin de la maison paternelle. […]
J’ai voulu ce Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, comme un temps favorable pour l’Église, afin que le témoignage rendu par les croyants soit plus fort et plus efficace », explique le pape François.
Il s’adresse aussi à qui est « loin » : « Que puisse parvenir à tous la parole de pardon et que l’invitation à faire l’expérience de la Miséricorde ne laisse personne indifférent ! Mon appel à la conversion s’adresse avec plus d’insistance à ceux qui se trouvent éloignés de la grâce de Dieu en raison de leur conduite de vie. »
Trois passages particulièrement remarquables de la bulle concernent l’appel à la conversion des membres des organisations criminelles, des personnes pourries par la corruption ou de celles reléguées dans les « périphéries » existentielles, typiques de la pastorale du pape François : « Je pense en particulier aux hommes et aux femmes qui font partie d’une organisation criminelle quelle qu’elle soit. Pour votre bien, je vous demande de changer de vie. Je vous le demande au nom du Fils de Dieu qui, combattant le péché, n’a jamais rejeté aucun pécheur. Ne tombez pas dans le terrible piège qui consiste à croire que la vie ne dépend que de l’argent, et qu’à côté, le reste n’aurait ni valeur, ni dignité. Ce n’est qu’une illusion. Nous n’emportons pas notre argent dans l’au-delà. L’argent ne donne pas le vrai bonheur. La violence pour amasser de l’argent qui fait couler le sang ne rend ni puissant, ni immortel. Tôt ou tard, le jugement de Dieu viendra, auquel nul ne pourra échapper. »
« Le même appel s’adresse aux personnes fautives ou complices de corruption », insiste le Pape : « Cette plaie puante de la société est un péché grave qui crie vers le ciel, car il mine jusqu’au fondement de la vie personnelle et sociale. La corruption empêche de regarder l’avenir avec espérance, parce que son arrogance et son avidité anéantissent les projets des faibles et chassent les plus pauvres. C’est un mal qui prend racine dans les gestes quotidiens pour s’étendre jusqu’aux scandales publics. La corruption est un acharnement dans le péché qui entend substituer à Dieu l’illusion de l’argent comme forme de pouvoir. C’est une œuvre des ténèbres, qui s’appuie sur la suspicion et l’intrigue. « Corruptio optimi pessima », disait avec raison saint Grégoire le Grand, pour montrer que personne n’est exempt de cette tentation. Pour la vaincre dans la vie individuelle et sociale, il faut de la prudence, de la vigilance, de la loyauté, de la transparence, le tout en lien avec le courage de la dénonciation. Si elle n’est pas combattue ouvertement, tôt ou tard on s’en rend complice et elle détruit l’existence. […]
Voici le moment favorable pour changer de vie ! exhorte le Pape. Voici le temps de se laisser toucher au cœur, répète le pape François. Face au mal commis, et même aux crimes graves, voici le moment d’écouter pleurer les innocents dépouillés de leurs biens, de leur dignité, de leur affection, de leur vie même. Rester sur le chemin du mal n’est que source d’illusion et de tristesse. La vraie vie est bien autre chose. Dieu ne se lasse pas de tendre la main. Il est toujours prêt à écouter, et moi aussi je le suis, comme mes frères évêques et prêtres. Il suffit d’accueillir l’appel à la conversion et de se soumettre à la justice, tandis que l’Église offre la miséricorde. »
Surtout, le Pape insiste sur la nécessité, « d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes, que le monde moderne a souvent créées de façon dramatique » (15).
« Au cours de ce Jubilé, l’Église sera encore davantage appelée à soigner ces blessures, à les soulager avec l’huile de la consolation, à les panser avec la miséricorde et à les soigner par la solidarité et l’attention. Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme destructeur. Ouvrons nos yeux pour voir les misères du monde, les blessures de tant de frères et sœurs privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle à l’aide. Que nos mains serrent leurs mains et les attirent vers nous afin qu’ils sentent la chaleur de notre présence, de l’amitié et de la fraternité. Que leur cri devienne le nôtre et qu’ensemble, nous puissions briser la barrière d’indifférence qui règne souvent en souveraine pour cacher l’hypocrisie et l’égoïsme », exhorte encore le Pape.
Il insiste aussi sur le « rapport entre justice et miséricorde » : « Il ne s’agit pas de deux aspects contradictoires, mais de deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour. »
Après avoir expliqué les dates du Jubilé, le Pape confie son désir profond : « Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous. »
Le Pape revient sur un épisode qui lui est particulièrement cher, l’appel de Matthieu : « L’appel de Matthieu est lui aussi inscrit sur l’horizon de la miséricorde. Passant devant le comptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’était un regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cet homme, et surmontant les résistances des autres disciples, il le choisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un des Douze. Commentant cette scène de l’Évangile, saint Bède le Vénérable a écrit que Jésus regarda Matthieu avec un amour miséricordieux, et le choisit : miserando atque eligendo. Cette expression m’a toujours fait impression au point d’en faire ma devise. »
Le Pape indique la béatitude « qui doit susciter notre engagement tout particulier en cette Année sainte » : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7).
Et c’est un passage clef de la bulle que cet examen de conscience sur la vie de la miséricorde en Église : « Peut-être avons-nous parfois oublié de montrer et de vivre le chemin de la miséricorde. D’une part, la tentation d’exiger toujours et seulement la justice a fait oublier qu’elle n’est qu’un premier pas, nécessaire et indispensable, mais l’Église doit aller au-delà pour atteindre un but plus haut et plus significatif. D’autre part, il est triste de voir combien l’expérience du pardon est toujours plus rare dans notre culture. Même le mot semble parfois disparaître. Sans le témoignage du pardon, il n’y a qu’une vie inféconde et stérile, comme si l’on vivait dans un désert.
Le temps est venu pour l’Église de retrouver la joyeuse annonce du pardon. Il est temps de revenir à l’essentiel pour se charger des faiblesses et des difficultés de nos frères. Le pardon est une force qui ressuscite en vie nouvelle et donne le courage pour regarder l’avenir avec espérance. »
Puis le Pape souligne l’importance des relations interreligieuses pendant ce jubilé. Il évoque Marie, Mère de la miséricorde et saint Jean, le disciple de l’amour, puis celle qu’il appelle « la grande apôtre de la miséricorde, sainte Faustine Kowalska » qui « fut appelée à entrer dans les profondeurs de la miséricorde divine » : « Qu’elle intercède pour nous et nous obtienne de vivre et de cheminer toujours dans le pardon de Dieu et dans l’inébranlable confiance en son amour. »
Il invite le baptisé à se laisser surprendre par Dieu tout au long du jubilé : « Une Année sainte extraordinaire pour vivre dans la vie de chaque jour la miséricorde que le Père répand sur nous depuis toujours. Au cours de ce Jubilé, laissons-nous surprendre par Dieu. »
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