Je suis au moins d’accord sur un point avec notre ministre de l’Éducation nationale : « Il y a un principe qui s’appelle neutralité de l’État. Il doit s’appliquer dans les établissements d’enseignement sous contrat comme dans les établissements du service public. » Si Vincent Peillon entend par neutralité le fait que les établissements scolaires ne doivent pas être partie prenante des joutes politiques, qu’ils doivent être un espace préservé pour un savoir objectif, loin des querelles qui affectent la société et la sphère politique, on ne peut qu’acquiescer à pareille sagesse. Le problème c’est que dans la pratique une telle neutralité s’avère très difficile à respecter. Depuis toujours, les enseignants se sont fait l’écho des débats de la place publique. Beaucoup d’entre eux, très engagés idéologiquement, ne se sont pas fait faute de répercuter leurs opinions dans leurs cours. D’une certaine façon, pourquoi pas, dès lors qu’ils respectaient la conscience de leurs élèves et admettaient une controverse ordonnée ?
Autre problème. Vincent Peillon, avant même qu’il ne devienne ministre, s’est montré partisan d’une certaine conception de la République, proche des pionniers de la IIIe République. Il s’est réclamé ainsi de l’héritage de Ferdinand Buisson, théoricien de l’école publique, qui entendait transmettre aux enfants de France une certaine conception de la morale. C’est pourquoi je n’ai pas été étonné que le ministre Vincent Peillon ait manifesté son intention de rétablir l’enseignement de la morale à l’école, et d’une certaine façon je m’en suis félicité. Apprendre aux enfants les notions élémentaires du bien et du mal, apprendre le respect de l’autre, celui du bien commun, se disposer à l’entraide, à la solidarité. Oui, mais voilà : si la morale a été abandonnée autour de 1968 dans le monde scolaire, c’est qu’il n’y avait plus de consensus sur ce qu’on appelle les valeurs. Comment le ministre compte-t-il réanimer un tel consensus ?
Ce qui apparaît avec évidence, c’est que les choses commencent plutôt mal. Le cardinal André Vingt-Trois en formulant sa crainte d’une police de la pensée a bien désigné ce qui était en cause. Car cette formule, qui est de l’écrivain George Orwell, renvoie à une idéologie d’État, qui s’appuie sur la contrainte pour formater les consciences, alors que le romancier de 1984 pensait que ce qu’il fallait aux hommes libres, c’était ce qu’il appelait la commune décence. Vincent Peillon se trouve sur quelle ligne ? La police de la pensée ou la commune décence ?
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 7 janvier 2013.
Tugdual Derville est invité ce soir lundi 7 janvier 2013 de la chaine BFM TV, à 23 h (durée : 20mn) pour un débat sur les déclarations de Vincent Peillon sur l’enseignement catholique.