Au terme d’un pèlerinage en Terre sainte, c’est l’action de grâce qui emplit les cœurs pour tout ce qui est vécu dans ce beau pays, si attachant pour nous chrétiens. Si attachant parce que si vénérable, pour nous qui venons y marcher sur les pas du Christ. Et en même temps si déroutant par cette juxtaposition des religions, ces divergences au sein des diverses confessions chrétiennes, et ce conflit permanent où se mêlent de manière inextricable le politique, le religieux et l’histoire.
Au plan personnel, il y a aussi une prise de conscience à faire : l’être humain dans sa condition profonde, est un être en chemin. Nous allons, nous marchons, nous avançons, c’est ainsi que nous vivons. Est-ce pousser le trait que de dire que, prise dans sa globalité, notre vie humaine est une transhumance, un pèlerinage et que par voie de conséquence, nous sommes fondamentalement des nomades, des pèlerins ?
Dans cette perspective, l’erreur serait de vouloir nous arrêter en chemin, de vouloir nous installer définitivement sur cette terre, car notre vie même va jusque vers sa pâque, son passage, qui doit nous faire entrer dans la Vie, la vraie Vie, celle qui ne finit pas, pour être avec Dieu, en Dieu. Mystère de l’être humain qui s’accomplit en mourant à lui-même, en mourant à sa propre vie !
Cette notion de pèlerinage est présente dans toute la Bible. L’Ancien Testament nous l’enseigne, comme à nos frères juifs, et l’on peut faire mention ici de la vocation d’Abraham au livre de la Genèse. « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai… Abram partit, comme lui avait dit le Seigneur… Abram avait soixante-quinze ans lorsqu’il quitta Harân » (Gn 12, 1.4).
De même pour tous nos ancêtres dans la Bible : Abel, Hénoch, Noé, Abraham, Sarah. C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs. Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie. S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir. En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une ville (He 11, 13-16).
Le Nouveau Testament confirme volontiers cette orientation fondamentale de notre humanité : « Souvenez-vous que vous êtes des étrangers et des voyageurs de passage », nous rappelle la lettre aux Hébreux (11, 13), comme l’était Abraham, notre père dans la foi (Gn 23, 4).
Oui, nous sommes des étrangers et des voyageurs de passage, et cette notion nous constitue fondamentalement pèlerins. Ainsi dans le judaïsme ancien, tout juif devait monter au Temple de Jérusalem pour adorer Dieu, trois fois l’an aux fêtes de la Pâque, de la Pentecôte et des Tentes. Aller au Temple, c’était rencontrer Dieu, présent dans le Temple. La sainte Famille elle-même accomplissait ce pèlerinage tous les ans (cf. Lc 2, 41-52).
Le christianisme, bien sûr, a fait sien le thème du pèlerinage auquel il donne plusieurs significations. D’abord le pèlerinage est toujours un départ, avec l’idée de détachement, détachement de la patrie, de son avoir, de soi-même. Il exprime un désir de conversion. On se met en route, on se dépouille pour suivre le Christ. Il y a derrière, en filigrane, l’image d’Abraham, notre père dans la foi, qui a obéi à un ordre de Dieu qui lui a dit : « Va ! » Et Abraham partit ne sachant où il allait, et il avait 75 ans ! (Gn 12, 1-4 ; He 11, 8.)
Ensuite, le pèlerinage manifeste concrètement que notre vie terrestre est perçue comme un exil loin du Seigneur. Cette vie n’est pas la vraie vie, et cette terre n’est pas notre vraie patrie. La conscience d’être des étrangers de passage sur cette terre et de n’avoir d’autre patrie véritable que la Jérusalem céleste était si forte chez les Pères qu’ils se sentaient des étrangers dans leur propre patrie et chez eux dans toute terre étrangère. Enfin, le pèlerinage exprime aussi notre soif de la Jérusalem céleste. Il y a un ardent désir dans notre cœur qui nous oriente vers notre véritable patrie, la cité future. Cet appétit ne peut être rassasié par les biens de ce monde. Cet appel ouvre sur l’infini de Dieu !
Comme chrétiens, nous sommes donc des pèlerins, sous la conduite du Christ, notre chef (He 2, 10) et notre précurseur (He 6, 20), en quête de la patrie véritable (He 11, 16 ; 13, 14), et toute notre vie est tendue ou devrait être tendue vers la rencontre du Seigneur (2 Co 5, 6 ; Ph 3, 12-14), en marche vers la Jérusalem céleste (He 12, 22-24).
En revenant en France, nous ne mettons pas un terme à notre pèlerinage, nous voulons rester pèlerins d’Emmaüs. Nous voulons continuer à cheminer avec Cléophas et son compagnon sur la route d’Emmaüs, pour nous laisser rejoindre par le Christ en personne. C’est Jésus lui-même qui peut éclairer nos intelligences (Lc 24, 25) et nous ouvrir aux Écritures (Lc 24, 27). Qu’il nous donne aussi de le reconnaître à la fraction du pain dans le quotidien de notre vie, dans notre prochain le plus proche, dans les membres de nos familles, dans les personnes que nous rencontrons, comme aussi bien sûr dans notre vie spirituelle et tout spécialement dans la liturgie eucharistique. C’est effectivement là, le premier lieu, où que nous soyons dans le monde, que Jésus nous rejoint sur la route de notre vie. En conséquence, demandons humblement, qu’à chaque communion fervente, nos yeux s’ouvrent davantage à ce mystère et que nos cœurs brûlent toujours plus fort de cette nouvelle présence du Seigneur.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Ouverture du Synode pour le Proche Orient
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- La France et le cœur de Jésus et Marie