Vérités éternelles et changements « pastoraux » - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Vérités éternelles et changements « pastoraux »

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Le ressourcement (« un retour aux sources ») est une récupération créative des fondements de la foi chrétienne dans l’Ecriture et la tradition qui font autorité, dans le but de revitaliser le présent. Cette récupération était au cœur de Vatican II. Dans la ligne de la pensée de Vincent de Lérins (d 450).

Le Concile a fait la distinction entre la vérité, et ses formulations conditionnées historiquement, véracité du contenu et du contexte, en résumé, propositions et phrases. Jean XXIII a fait allusion à ces distinctions dans son adresse d’ouverture à Vatican II, Gaudet Mater Ecclesia : « Car le dépôt de la foi (2 Tim I, 14) les vérités contenues dans notre enseignement sacré sont une chose ; la façon dont elles sont exprimées, mais avec le même sens et le même jugement (eodem sensu eademque sententia) en sont une autre ».

La clause subordonnée ici – eodem sensu eadem sententia – est une partie d’un passage plus long du Dei filius de Vatican I (4, 14), et ce passage, à son tour, est tiré de Commonitorium primum (23,3) de Vincent de Lérins : « C’est pourquoi, qu’il y ait de la croissance et un progrès abondant dans la compréhension, la connaissance et la sagesse, chez tous et chacun, dans les individus et dans l’Eglise entière, en tous temps et dans l’avancée des âges, mais seulement en gardant les bonnes limites, c’est-à-dire à l’intérieur du même dogme, du même sens, du même jugement. »

Yves Congar, un des grands théologiens de la nouvelle théologie, argumente que cette distinction résume le sens de Vatican II. Bien que les vérités de la foi puissent être exprimées de façons diverses, nous devons toujours déterminer, même quand nous approfondissons notre compréhension de ces vérités, que ces nouvelles re-formulations préservent le même sens et jugement (eodem sensu, eademque sententia), et de ce fait, la continuité matérielle, l’identité et l’universalité de ces vérités.

Par contraste, nous entendons aujourd’hui beaucoup de choses au sujet d’une orientation pastorale de la doctrine. « Pastoral » ici a un sens historiciste, déniant explicitement ou implicitement la validité constante d’une vérité logique : La vérité elle-même et pas seulement ses formulations, est sujette à être réformée et perpétuellement réinterprétée. C’est précisément ainsi que certains interprètent la distinction de Jean XXIII entre la vérité et ses formulations. Par exemple Richard Gaillardetz et Christophe Théobald, S.J. avancent cette interprétation que Théobald appelle « principe de pastoralité ».

Ce principe est historiciste car il fait s’effondrer la distinction d’une vérité immuable et ses formulations dans un contexte historique, signifiant alors, comme l’exprime Théobald, « sujet à une continuelle réinterprétation (et re-contextualisation) selon la situation de ceux à qui elle est transmise ».

Théobald déclare que l’expression « substance du dépôt de la foi », devrait être « prise dans son ensemble et sans faire référence à une pluralité interne (c’est-à-dire immuable vérité et ses formulations) qui fait déjà partie d’une telle expression ».

Comme le dit Gaillardetz, « la doctrine change quand les contextes pastoraux changent et de nouveaux aperçus émergent (car) des formulations doctrinales particulières n’assurent plus la médiation avec le message salvifique de l’amour de Dieu qui transforme ». En un mot, cette approche soulève la question du sens des doctrines comme vérités absolues, ou comme des affirmations objectivement vraies.

Mais ce principe particulier de pastoralité est peu plausible en tant qu’interprétation de Vatican II, étant donné que Jean XIII a marqué un point de contact clair avec la nouvelle théologie, mouvement de renouveau qui exerçait une influence significative sur le Concile.

Il est évident que ceux qui soutiennent ce principe ne semblent pas saisir la distinction entre les propositions et le phrases, entre la vérité et ses formulations. Par exemple : ils ont suggéré que puisqu’il y a eu un processus de révision d’Humanae Vitae qui a conduit à ses formulations théologiques finales, alors, la vérité elle-même qu’affirme cette encyclique peut changer.

Certains, maintenant, affirment aussi que Joseph Ratzinger a eu des difficultés avec les prétentions à la vérité d’Humanae Vitae. Pourtant, pendant les entretiens cités dans Le dernier testament : Selon ses propres paroles, le pape Benoit a clairement établi que ce n’étaient pas les conclusions d’Humanae Vitae qui lui posaient des questions, mais plutôt son argumentation :  « Il était certainement clair que ce que l’encyclique disait était essentiellement valide, mais le raisonnement n’en était pas satisfaisant. »

Il ajoute :  « Je cherchais un point de vue anthropologique compréhensif », qu’il a trouvé dans « Jean Paul II qui devait compléter, ( et non rejeter) le point de vue de la loi naturelle de l’encyclique avec une vision personnaliste » Jean Paul II a synthétisé avec succès dans son œuvre philosophique et théologique, dans un tout cohérent, le personnalisme, la phénoménologie existentielle/herméneutique, et le Thomisme.

Jean Paul II a fait des interprétations dans le style de Lérins. Cette synthèse se montre dans ses travaux sur l’anthropologie chrétienne la métaphysique, et l’éthique sexuelle (par exemple Amour et responsabilité ; Homme et femme il les créa : la théologie du corps ; La personne en action ; Personne et communauté. En effet, dans sa grande encyclique maintenant souvent ignorée, de 1993, Veritatis Splendor, il s’aligne explicitement sur l’herméneutique Lérinienne :

Il y a certainement un besoin de rechercher et de découvrir la formulation la plus adaptée pour les normes universelles et permanentes, à la lumière des différents contextes culturels, une formulation très capable d’exprimer sans cesse sa pertinence historique, de permettre qu’on les comprenne et interprète leur vérité de façon authentique. Cette vérité de la loi morale – comme celle du « dépôt de la foi » – se déploie au cours des siècles : les normes qui expriment cette vérité demeurent valides dans leur substance, mais doivent être spécifiées et déterminées « eodem sensu eadem sententia » à la lumière des circonstances historiques du magistère de l’Eglise, dont les décisions sont précédées et accompagnées par le travail d’interprétation et de formulation caractéristique de la raison d’individus croyants et de la réflexion théologique. (*53)

En se servant de la distinction entre la vérité et sa formulation, entre les propositions morales et leur expression linguistique, Jean Paul explique que les normes morales qui expriment des vérités morales, bien qu’elles tiennent compte des conditions variées de la vie selon les lieux, les époques, et les circonstances, « demeurent valides dans leur substance » et de ce fait, « doivent être précisées et déterminées eodem sensu, eadem sententia (selon le même sens et le même jugement).

Aussi y a-t-il une croissance dans la compréhension de la vérité morale, qui cherche et découvre « la formulation la plus adaptée aux normes morales universelles et permanentes » sans changer la substance et la détermination de la vérité de la moralité.

Pour revitaliser le présent par une récupération créative des sources de la foi qui font autorité, l’Eglise a besoin de l’herméneutique Lérinienne, et non d’un principe historiciste de pastoralité.

18 juillet 2018

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/07/18/eternal-truths-and-pastoral-changes/