Finalement j’aurais préféré être à Philadelphie pour la récente visite du pape François, et l’entendre lancer depuis la tribune de Lincoln ses vigoureux appels à la liberté religieuse, ou participer à sa « Messe publique » très contrôlée. Plutôt là qu’entendre les discours à Washington et à New York.
Ce serait stupide de suggérer qu’un discours a été plus politique qu’une autre cependant. Ce sont des moments où, comme mon cher Benoît l’a découvert plusieurs fois à son détriment, simplement s’élever au-dessus de la politique sera interprété comme un acte politique, qu’on le veuille ou non. Pour la gauche mais aussi pas mal pour la droite (voir les Fox News), le personnel est aujourd’hui le politique, et le religieux est le politique aussi. Tout est politique.
Je venais de parcourir dans le National Catholic Reporter les commentaires du compte rendu de la rencontre du pape avec Kim Davis, cette greffière d’un comté du Kentucky. Il est évident que pour un nombre considérable de catholiques, la liberté religieuse est un point très sensible. Au fond ils sont contre.
Je me permets de blâmer « le père Z » [prêtre catholique animateur d’un site et connu sous ce nom, NDT] de m’envoyer là à la première place. Il a fourni le lien bien qu’évidemment ce fût ma propre impulsion pécheresse de le suivre. (Pauvre David :!) Je savais ce que j’allais trouver là, même avant d’avoir regardé : des centaines de « catholiques libéraux » livides et bafouillants, se sentant trahis par cette rencontre discrète; ou alléguant une conspiration de sombres agents du Vatican conservateurs pour piéger le pape.
Cartes sur table : cette bave m’a rendu tout joyeux. Je voulais embrasser et étreindre le Saint Père comme, apparemment, Kim Davis le fit (en compagnie de son mari actuel).
Que la rencontre ait été sans publicité, double son effet quand a appris la nouvelle. Cela ressemble beaucoup à quelque chose que le pape a fait de son propre chef ; je ne peux pas imaginer un agent du Vatican, même très sombre, suggérant une telle rencontre – à moins qu’il s’agisse d’une petite farce de bureau.
C’était tellement Bergoglio, qui franchit avec tant d’habileté les limites. Kim Davis n’est même pas catholique. Les media libéraux, avec empressement sinon tout à fait intentionnellement, l’ont peinte comme une sorte de vivante Samaritaine. L’histoire de la position qu’elle a prise – ce personnage officiel de comté (élue) refusant de signer des licences de mariage pour les gays , refusant de croire que la Cour Suprême des Etats-Unis a des pouvoirs législatifs – est si parfaitement embrouillée.
Une petite femme qui dit le fric s’arrête ici. Une petite femme qui oublie d’être intimidée par les cameras, et les jurons hors cameras. Une petite femme qui dit que le grand-duc est nu. Et allant en prison pour cela… C’est sûr, Kim Davis a rejoint les héroïnes de mon panthéon privé.
Mais qu’elle ait rejoint le pape a été une surprise qui donne le vertige. Cela révéla que le pape François peut être comme Kim Davis.
La visite, aussi peu prévue, aux petites Soeurs des Pauvres à Washington était différente car elle incluait des photographes. Pour les politiquement libéraux, le conflit de l’ordre avec ceux qui veulent forcer les gens à adopter l’Obamacare n’est pas un scandale mais un embarras. Les images d’un affrontement entre des brutes bureaucratiques sans visage et de fidèles et inoffensives religieuses au service des pauvres, ne sont pas bonnes pour eux.
Kim Davis, de ce point de vue, a constitué une meilleure cible pour des « deux minutes de haine » orwellienne. Son action miséricordieuse était garantie incompréhensible à la majorité du public de la télévision. Même ses supporteurs demandaient « Pourquoi ne démissionne-t-elle pas ? Pourquoi ne trouve-t-elle pas quelqu’un pour signer à sa place ? Pourquoi en faire une scène ? »
Et alors les éditeurs se mettent au travail, choisissant les photos les moins flatteuses de la dame, et les recadrant comme cela ; sélectionnant et arrangeant les citations etc. J’ai été dans le job, je sais comment il est fait. Les pros sont des démons s’il s’agit de démoniser.
J’ai soutenu précédemment que Bergoglio sait ce qu’il fait quand il s’agit de manipuler les medias. Par des correspondants argentins, j’ai eu quelque idée de son adresse à le faire. Et depuis qu’il est à Rome, il suffit d’observer combien souvent il a embobiné les medias du monde entier, faisant précisément ce qu’il a fait ici en Amérique du Nord. Il sait ce que chaque public aime à entendre, et y ajuste son message. Il a dit lui-même qu’avant la prêtrise, il avait caressé l’idée de faire de la politique.
De cette position d’observateur, il ne devrait jamais être sous-estimé. Je suis consterné, comme le savent mes lecteurs, par ce nouveau processus d’annulation rapide, mais j’ai remarqué que dans l’avion du retour les reporters n’ont pas pu le prendre en défaut. En une seule phrase, il a rendu claire la différence entre un divorce séculier et une déclaration catholique de nullité.
Il est en général tout à fait clair, sur le principe rigoureusement catholique, même si il est rapide et facile, comme moi (et d’autres) pouvons le penser, avec la « pratique pastorale ». Et il emploie encore des gens comme le cardinal Gerhard Muller pour vérifier du point de vue de la doctrine les épreuves de documents comme Laudato Si’.
Je ne pense pas que Bergoglio soit la sorte d’homme, sans parler du pape, qui prendrait consciemment une position hérétique. Mes propres critiques ont été sur son imprudence ; sur ses errements qui l’éloignent des sources de l’enseignement catholique et le mènent dans des taillis sociaux, économiques et environnementaux qu’il comprend imparfaitement. Je l’ai accusé de manquer de discernement et de prudence, et, partant, en effet, de mauvaise lecture des signes de notre temps. Car ce n’est pas un temps où les catholiques ont besoin de distractions.
La rencontre avec Kim Davis était évidemment imprudente. Pourtant je pense qu’elle était une garantie de sincérité aussi bien que de sa nature volontaire. Notre pape sincèrement admire les gens qui ne se laissent pas marcher sur les pieds.
vendredi 2 octobre 2015
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/02/vatican-sotto-voce/
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