Hier après midi, Mgr Eric de Moulins-Beaufort a brillamment inauguré le cycle des conférences de carême de Notre-Dame, consacré cette année à une réflexion sur le concile Vatican II. Innovation pour 2010: à la fin de son exposé, l’évêque auxiliaire du Cardinal Vingt-Trois s’est prêté aux questions de l’auditoire et ce ne fut pas le moment le moins intense de l’exercice. En se concentrant sur la notion de signe des temps, l’orateur a pris de front ce qui constitue un peu la spécificité de Vatican II, qui, dans l’intention de son initiateur, le pape Jean XXIII, se devait d’approfondir la mission de l’Eglise dans le monde de son temps. Mission en quelque sorte pastorale qui n’excluait en rien, au contraire, le doctrinal. Jean XXIII n’attendait pas que le concile se concentre sur la définition de nouveaux dogmes, il espérait qu’il exposerait les richesses du patrimoine chrétien aux hommes du vingtième siècle.
Très vite, les Pères conciliaires s’aperçurent qu’un tel projet supposait une double démarche. Pour exposer le patrimoine, il fallait d’abord que l’Eglise s’interroge elle-même, sur son propre mystère. Qui était-elle? Quel dessein Dieu avait-il conçu en la fondant et en la lançant dans son aventure missionnaire? En second lieu, il fallait que cette même Eglise s’interroge sur ses relations avec le monde d’aujourd’hui, avec ses caractéristiques originales. Ce qui représentait une tâche inédite pour un concile mais nullement surprenante au fond. Il y a, en effet, depuis les origines du christianisme, une constante réflexion des grands docteurs sur l’histoire des hommes dans sa relation mystérieuse avec le dessein de Dieu. Ce n’est pas pour rien que Mgr Eric de Moulins-Beaufort, en répondant aux questions de ses auditeurs, a évoqué le grand livre de Saint Augustin, « la cité de Dieu » qui est tout entier consacré à cette réflexion. Le spécialiste du Père de Lubac qu’il est aussi, pouvait évoquer une thématique chère au grand théologien, qui a beaucoup insisté sur les rapports entre Histoire et Esprit.
En concentrant dans cette logique le développement de sa conférence sur les signes des temps, l’orateur a voulu montrer comment Vatican II avait saisi les tendances fortes de la civilisation contemporaine, en les mettent en tension avec le projet de Dieu. L’unité du genre humain, en train de ses constituer dans la dynamique de ce qu’on appelle aujourd’hui mondialisation ou globalisation, l’affirmation de la liberté conçue comme une émancipation dans tous les domaines, et enfin l’incroyable efficacité de l’activité humaine répudiant le fardeau de la fatalité pour prendre en main le destin de façon rationnelle et volontaire. Unité, liberté, efficacité, autant de défis spirituels que le christianisme se devait de prendre en compte en reconnaissant ce qu’ils ont de légitimité profonde mais aussi en quoi ils doivent être réexaminés dans cette lumière du dessein de Dieu. Un demi-siècle après Vatican II, il apparaît que cet objectif d’examen des signes des temps n’était pas une vaine entreprise mais qu’il doit être poursuivi, compte tenu notamment de la crise actuelle qui n’est pas seulement économique. L’Eglise se doit d’accompagner l’histoire contemporaine pour aider à en comprendre la fécondité et pour engager le combat spirituel inhérent aux grandes tâches humaines. Ainsi, hors des polémiques stériles, Vatican II est-il restitué à sa vérité singulière et à la lumière qu’il apporte à notre temps.