Robert Royal a écrit à propos des Journées Mondiales de la Jeunesse que la presse non-religieuse avait été indifférente au million et demi de jeunes Catholiques présents avec Benoît XVI. Cette indifférence, pensait-il, n’était pas une mauvaise chose, car les forces qui font bouger le monde passent en général sous le radar des média et des universités.
L’Osservatore Romano (version anglaise du 21 Septembre) a republié un essai à propos de la visite papale intitulé “Dieu à Madrid”, du romancier péruvien – lauréat du prix Nobel de littérature 2010 – Mario Vargas Llosa, initialement paru dans le quotidien espagnol El País.
Les idées de Vargas Llosa sont un apport considérable à la réflexion. Pour situer son point de vue, il indique qu’il est « agnostique », bien qu’il lise comme un « pseudo-agnostique ». Et comme Benoît XVI le laisse souvent entendre, le monde devient nerveux quand les athées et les agnostiques réalisent que le christianisme donne une meilleure explication de la réalité qu’ils ne le font.
Ces JMJ ont été le plus grand rassemblement de catholiques de l’histoire de l’Espagne. Il était joyeux, il était jeune. N’était-ce qu’un spectacle ou était-ce un signe de la vitalité insoupçonnée de l’Eglise ? L’Eglise voit ses effectifs décliner en Espagne et ailleurs, mais les JMJ, sous Jean-Paul II et Benoît XVI, révèlent la gaieté au sein de l’Eglise, non pas ses « inévitables déclin et extinction ». L’esprit « laïciste » a donc intérêt à trouver des justifications à ce phénomène et à ne pas saisir ce qui se passe vraiment.
Vargas Llosa compare les personnalités contrastée de Jean-Paul II et de Benoît XVI : le premier est charismatique et a le sens de la scène, le second est timide et intelligent. Il sous-estime, je crois, l’intellect de Jean-Paul II, mais il voit juste sur Benoît XVI quand il écrit : il est « probablement le Pape le plus cultivé et le plus intelligent que l’Eglise ait eu depuis longtemps, un de ces rares pontifes dont les encycliques et les livres peuvent être lus sans baîller d’ennui, même par des agnostiques comme moi. » Benoît XVI n’est pas seulement le Pape le plus cultivé et le plus intelligent, mais la figure publique mondiale la plus intelligente et la plus cultivée des ces dernières années.
Vargas Llosa discute ensuite l’évolution supposée de Benoît de libéral [NdT : au sens « de gauche »] à conservateur. Il ne voit malheureusement pas la cohérence de la pensée papale, qui reconnecte l’Eglise à ses propres traditions plutôt que d’opposer une nouvelle Eglise à une ancienne. Au final, sous ces papes, « l’Eglise est plus unie et plus combative, quand on compare aux années où elle semblait sur le point de se déchirer et de se diviser à cause de combat idéologiques internes. »
Vargas Llosa se penche alors sur la crise qu’il décèle dans la « culture de la liberté ». L’Etat qui autorise la liberté de religion ne peut pas devenir lui-même une religion rivale. Il doit reconnaître ses limites et ses propres besoins. L’institution étatique doit être construite sur des « valeurs éthiques ». Tout Etat constitué a besoin d’une « vie spirituelle riche et florissante comme antidote permanent aux forces anarchiques, destructrices et déstructurantes qui tendent à gouverner le comportement individuel quand l’être humain se sent libre de toute responsabilité. »
La fait que la liberté signifie l’absence de limite et d’ordre est ancien, et a déjà été analysé par Platon et Aristote. Aujourd’hui, c’est presque un dogme dans nos sociétés. Mais pour autant les désordres de l’âme de cesseront pas de miner ce qui est bon pour l’homme, même si on les appelle « droits » ou « vertus ».
Le modernisme regarde la religion comme une « superstition » que le savoir et la démocratie élimineront. Cette façon de voir la religion est elle-même « une autre superstition que la réalité a progressivement détruite. » Les gens ordinaires continuent à penser qu’une signification transcendante à leur vie doit être trouvée. La culture actuelle a « cessé d’être une réponse sérieuse et profonde aux grandes questions humaines sur la vie, la mort, la destinée et l’histoire, comme elle l’était dans le passé. » Ces questions ultimes sont constamment rappelées au public par Jean-Paul II et Benoît XVI, mais peu par d’autres. Cela montre qui prend soin de l’âme humaine.
La culture contemporaine est plutôt fade, comme une sorte de « distraction légère ». En son sein, on trouve une « cabale d’experts arrogants et incompréhensibles, qui ont trouvé refuge dans un jargon inintelligible, à des années-lumière du commun des mortels. » Et la culture n’a pas remplacé la religion, en particulier la religion révélée.
La plupart des êtres humains soupçonnent en effet que les réponses aux grandes questions de l’humanité exigent un « ordre supérieur » d’existence pour situer le centre de leurs vies. Les défenseurs suffisants de l’athéisme ne sont plus sur le terrain solide où ils croyaient être. La Science elle-même semble admettre que l’origine de l’univers repose dans une source transcendante, extra-cosmique et intelligente, et ce même pour expliquer la science.
A partir du moment où la religion ne devient pas l’Etat et que l’Etat cesse d’imiter la religion – contrairement à ce qu’il fait de plus en plus – des relations bien définies et limitées sont possibles, comme Benoît XVI l’a bien décrit.
Ce qui est arrivé à Madrid est remarquable. Vargas Llosa a vu juste : en ces jours, « Dieu semblait exister et le Catholiscisme semblait être la religion unique et vraie. » Ce n’est donc pas étonnant que la majorité de la presse et des media mondiaux n’aient pas voulu couvrir la « présence de Dieu à Madrid » : ils pensaient que Dieu était mort.
James V. Schall SJ, professeur à l’Université de Georgetown, est l’un des auteurs catholiques les plus prolifiques de l’Amérique. Son dernier ouvrage est intitulé The Mind That Is Catholic (l’esprit qui est catholique).