Victime de la « haine de classe » d’un régime qui l’a marginalisé comme « fils de bourgeois », Vaclav Havel n’a jamais cherché de vengeance. Il a su vaincre à la fois la haine de ses adversaires politiques et, en lui, toute tentation de violence, même verbale, avec justice et courage.
Après l’écrasement du « Printemps de Prague » en août 1968, il s’est associé au lancement de la « Charte 77 », mouvement de défense des droits de l’homme durement persécuté. Le premier porte-parole de ce mouvement, le philosophe chrétien Jan Patocka, a été liquidé par des interrogatoires policiers répétés jusque sur son lit d’hôpital où il est mort d’une hémorragie cérébrale, le 13 mars 1977, à 69 ans.
Soumis à une pression policière permanente, Havel a parfois bénéficié d’une chance insolente malgré toutes les entraves : le jour de la diffusion du texte de la Charte 77 à travers Prague, les deux premières voitures de police qui le suivaient dans les rues de la ville se sont télescopées… Cet incident grotesque lui laisse le temps d’acheminer un nombre important de tracts avec un ami avant d’être rattrapé et jeté en prison…
En 1978, dans Le Pouvoir des sans-pouvoir, il décrit les mécanismes utilisés par le régime communiste pour créer une société sans ressort, résignée, composée d’individus craintifs ou corrompus. Son essai trouvera un écho retentissant dans l’ensemble des pays de l’Est. Resté attaché aux valeurs de l’Évangile, lecteur assidu d’Édith Stein, toute sa vie démontre la force de la résistance morale et spirituelle.
Mais Havel va être harcelé sans cesse : d’abord, deux policiers siègent en permanence dans l’antichambre de sa maison, pour repérer et intimider ses visiteurs. Puis on installe au-dessus de son jardin un mirador vitré, qu’il appelle le « module lunaire ». L’ironie et le sang-froid sont des atouts qu’il maîtrise très bien.
L’une des premières décisions de Havel devenu président après la « Révolution de velours » de la fin 1989 sera de nommer ambassadeur à Moscou le fils de l’ancien secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque, Rudolf Slánský, pendu en 1952 sur pression de Staline, le dissident Rudolf Slánský junior. La presse praguoise avait qualifié cette décision de « meilleur exemple de l’humour tchèque ». Un humour allié à une volonté d’obtenir justice et réparation.
Comme l’a écrit sa biographe Éda Kriseova, journaliste et écrivain devenue sa conseillère quand il a été élu président, Havel a gardé Kafka comme « auteur préféré ». Elle constate en effet que « tous deux ont été visionnaires dans leur œuvre, ils y ont projeté un monde futur ». Kafka et Havel étaient tous les deux impressionnés « par la façon dont l’homme peut devenir la victime et la cible du pouvoir impersonnel qui le manipule ». Mais si « le cauchemar de Kafka s’est réalisé », de manière atroce, au moment des procès de Prague de 1951 et des purges d’après l’été 1968, en revanche, « c’est le rêve de Havel qui se réalise » à l’heure du rétablissement d’un État de droit respectueux de la liberté dès la chute du communisme, observe Éda Kriseova. Havel a pris le relais de Kafka en montrant les limites de l’absurdité bureaucratique inhumaine. à ce titre, il a bien mérité le Prix que la société Franz Kafka lui a décerné en 2010…
En octobre 2010, Havel avait salué l’attribution du Prix Nobel de la Paix au militant chinois des droits de l’homme Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison pour avoir lancé une Charte 08… En mars 2011, les poumons et le cœur rongés par la maladie, il est hospitalisé, puis contraint de rester dans sa maison. Il trouve tout de même la force de signer une pétition pour que l’opposition russe s’unisse contre Vladimir Poutine, après les élections controversées du 4 décembre. Il meurt le 18 décembre dernier. Jusqu’au bout, le « prince-philosophe » de Prague aura été un avocat de la liberté, à l’échelle mondiale.
Gérard Leclerc:
Jean-Gabriel Delacour :
http://www.france-catholique.fr/VACLAV-HAVEL-est-mort.html