Usure et prêts usuraires. - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Usure et prêts usuraires.

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Dans le nombre croissant de sujets pénibles mon opinion sur l’usure en est sans doute un majeur. Je ne la considère pas comme une sorte d’obsession moyenâgeuse de l’Église rejetée en notre époque de lumières, alors que les gens comprennent mieux les principes de la banque et de l’économie. Et d’abord, je ne pense pas que nous soyons dans une période de lumières.
Inversement, je doute que les Florentins, Gênois, Vénitiens, et autres qui inventèrent les bases de la banque moderne, du commerce et de l’investissement — en plein Moyen Âge — ignoraient les mécanismes de l’offre et de la demande.

Alors que je ne défendrai pas, par exemple, le principe de la comptabilité en deux parties comme un article de foi, je remarquerai qu’il a évolué tout comme la science naturelle et l’environnement qui étaient alors à peu près 100% catholiques.

En soi, l’usure — ribbit en Hébreu — a eu mauvaise réputation non seulement en remontant à Moïse, à Véda, Brahma, mais aussi loin qu’on puisse voir à toute époque et dans toute autre tradition religieuse.

Vous pouvez lire, si vous le souhaitez, dans « Summa Theologiae II-II » les quatre articles relatifs à la question 78 sur le « Péché d’usure ». J’ai pris la peine d’en citer la référence car je crois qu’un lecteur qui porte de l’intérêt à la question (pardon pour le mauvais jeu de mots) découvrira que St. Thomas d’Aquin a fait le tour de la question — jusqu’à anticiper les opinions récentes.
Et je découvre là le plus extraordinaire. L’angélique Docteur s’aperçoit que, par le mécanisme des intérêts préteur et emprunteur contribuent à la création de monnaie à partir de rien. Et il fait bien la distinction entre ce qui est destiné à un investissement — où l’investisseur participe au gain ou à la perte — et ce qui est en fait un « emprunt destiné à la consommation ».

Je mets des guillemets en attente de vérification. Il y aura toujours des emprunteurs non pour un motif d’affaires, mais dans une véritable situation de détresse, quelles que soient les circonstances de cette détresse. Ils ont besoin d’être aidés, et un prêt peut être un geste de charité. Nous savons bien au fond de nous-mêmes que c’est mal de profiter du désespoir d’autrui.
L’usure, considérée comme un péché, ne se limite pas à de telles situations, mais il faut les analyser soigneusement, car l’avidité du prêteur-requin met le mal en évidence. La question pourrait être examinée comme suit.

On sait, par exemple, ce qui s’est passé lorsqu’un dirigeant de Coca-Cola a suggéré d’installer des thermomètres dans les distributeurs de boissons pour ajuster le prix des boissons lfraiche les jours de canicule. La réaction spontanée à cette démarche — divine surprise pour Pepsi-Cola — nous montre qu’il s’agit de cas tout-à-fait hors normes.

L’élasticité des prix pompeusement susurrée par ce dirigeant parmi les principes de base de l’économie ne lui a guère servi. On y a vu un de ces nombreux exemples où une économie bien établie peut aussi être à l’opposé de l’éthique, et nous faire songer aux conséquences imprévues qui en découlent.

Dans un domaine Thomiste plus contemporain montrant ce qui se passe au Vingt et Unième siècle, il n’est pas plus facile de camoufler les prêts-requins. Alors que ce n’est pas trop évident pour les usagers, il me semble que le principe même de la carte bancaire n’est pas subrepticement, mais évidement usuraire.

De plus, les usagers forcés par les circonstances sont largement moins nombreux que ceux qui succombent à une dette croissant sans fin pour satisfaire des « besoins » devenant de l’avidité. Leur aveuglement en fait les gogos parfaits pour les prêteurs-requins.

À la longue, ils peuvent être amenés à miser plusieurs fois sur le prix d’un service ou d’un bien sans en avoir encore remboursé le montant initial. En fait, les achats importants sont pour la plupart effectués avec étalement des paiements; et notre système fiscal est conçu pour exploiter les joueurs en les taxant tout au long de l’affaire. (et l’État a une martingale pour gagner à tout coup, même sur les « engagements sans provision ».)

Saint Thomas l’explique en des termes susceptibles d’échapper à un lecteur pressé car il faut creuser la question avec beaucoup de soin pour tout saisir. St. Thomas et, plus généralement, les documents médiévaux consacrés à l’aspect moral des transactions économiques donnent une bonne base de raisonnement. Ils peuvent nous aider à mieux voir notre propre époque, où la création de monnaie sans rien en échange mène à une inflation non seulement monétaire mais pour tout ce qui touche les moyens de paiement.

J’aborde ce sujet car il est d’actualité. Les spécialistes des marchés des changes et autres marchés financiers sonr actuellement très soucieux à la suite de la manœuvre de la Suisse qui a retiré sa monnaie du jeu (pour la maintenir à un taux correspondant à l’€uro afin d’encourager les exportations suisses et de décourager l’afflux de capitaux dans ses propores banques).
Agissant ainsi, ils ont mis en péril le vaste système mondial d’émission de monnaie qui « lubrifie » l’économie mondiale, et les nations sont dans une compétition effrénée pour tenir leurs monnaies à des taux aussi bas que possible afin de faire survivre leur économie.

Suivant cette politique, les avoirs nominaux des banques centrales dans le monde se sont accrus de nombreuses fois en quelques années; les banques privées déraisonnables se sont tenues à flot dans une marée de « monnaie plate » (créée ex nihilo) — susceptible d’allumer soudain l’incendie d’une hyper-inflation.

Ma jérémiade sur ce sujet vous est offerte en prime. À mon avis, nos économies reposent sur l’usure et les prêts usuraires, avec même la bénédiction des économistes de la vieille école — se moquant de l’archaïque, contraignante, moyenâgeuse idée qu’il pourrait bien y avoir quelque chose d’intrinsèquement pervers à prêter de l’argent avec intérêt.

À mon avis, l’illusion « on rase gratis » s’est répandue bien au-delà de l’argent per se, sous l’influence de la légende répandue dans toute la société d’un « style de vie » exaltant les appétits et autres vices. S’appuyant sur une stratégie économique où on les confond avec « liberté » et « prospérité »ce système incite les gens à acheter ce dont ils n’ont pas besoin avec de l’argent qu’ils n’ont pas encore gagné.

On commence à voir, comme on dit sur les marchés, qui sont les dindons de la farce.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/01/23/usury-and-feneration/


Illustration : Le prêteur sur gages et son épouse – Quentin Matsys (1514) – Musée du Louvre.