Jusqu’à ce que de récents événements à Providence College m’aient désabusé, j’ai longtemps répété que parce que j’enseignais dans une école authentiquement catholique, je jouissais comme professeur d’une plus grande liberté que dans aucune école que je connaissais. C’était dû à une combinaison particulière de caractéristiques qui ne s’appliquaient pas ailleurs.
D’abord, nous traitions les gens comme si nous nous souvenions de temps en temps que nous étions, eux comme nous, des pécheurs sur le chemin de la mort et du jugement.
Ensuite, nous n’excluions pas les principales questions. Dans l’Université Brown voisine vous pouviez mettre en danger votre carrière si vous n’étiez pas professeur titulaire et si vous enseigniez Shakespeare d’un point de vue théologique, mais à Providence vous n’aviez rien à craindre.
Enfin, le plus important, nous croyions en la vérité, et c’est pourquoi nous donnions une grande liberté d’action aux professeurs laïcs qui se trouvaient au milieu de nous et qui pouvaient ne pas contribuer directement à la mission spécifiquement catholique du Collège. Quand la vérité est votre but, et quand l’honnêteté vous pousse à reconnaître combien peut être fragile le maintien de la vérité, vous appréciez ceux qui ne parlent pas avec votre voix, ne serait-ce que parce qu’ils peuvent être la meule qui vous permet d’affuter votre lame.
Je ne suis plus du tout sûr de cela maintenant. C’est que notre premier souci semble être passé de la vérité à l’action politique ou des engagements politiques « vendeurs » sur le marché universitaire.
Ce qu’on dit de l’école maintenant, venu de la gauche politique, c’est que la liberté académique doit être employée « de façon responsable », par quoi on entend que le professeur doit toujours garder à l’esprit que ce qu’il dit ou écrit peut mettre mal à l’aise les étudiants.
On va même jusqu’à insinuer que moi ou les professeurs qui croient comme moi nous utilisons notre pouvoir dans le choix et la notation du travail pour perpétuer l’injustice contre certains groupes d’étudiants.
Le président a fait chorus en disant que la liberté académique doit être conciliée avec ce qu’il a appelé la charité, impliquant que la charité n’était pas compatible avec la critique plutôt indulgente que je faisais, sans les nommer, des professeurs et étudiants qui voulaient altérer le caractère de notre collège et saper ou éliminer le programme que nous proposons dans le cours intitulé Development of Western Civilization [Evolution de la Civilisation occidentale].
Être conservateur dans le monde académique a un côté ironique, et ce n’est pas toujours plaisant, car tout en évitant scrupuleusement d’aborder la politique contemporaine dans le que vous donnez sur la littérature de la Renaissance, par exemple, , vous savez parfaitement que vos collègues ont peu de choses à dire sur le sujet en dehors justement de la politique contemporaine. Les mêmes professeurs présument que vous ferez ce qu’ils ne cessent de faire, qui est d’utiliser leur cours comme une tribune pour exhortations partisanes, tout en exposant au mépris tout étudiant assez courageux pour s’y opposer.
Ils ne comprennent pas que quelqu’un comme moi a mieux à faire que de fulminer contre Donald Trump ou Hillary Clinton. Je dois enseigner Dante et Milton. Mais d’un seul coup ils détruisent les principes qui seuls peuvent justifier la liberté académique. Si le cours est pour la libre recherche de la vérité, alors aucun projet politique, si fondé qu’il soit, aucun sentiment personnel, si sincère qu’il soit, ne peut être autorisé à interférer.
Et si cela est vrai pour un cours, c’est cent fois vrai pour tout article d’un professeur, qui doit être orienté vers la découverte ou le développement ou la diffusion de la vérité.
Ma responsabilité est la même que celle de tout professeur : c’est de dire ou d’écrire la vérité comme je la vois. Si je suis dans l’erreur, la responsabilité de mes critiques est d’indiquer où j’ai fait une erreur dans le raisonnement, où mes prémisses sont fausses, ou bien ce qui m’a échappé dans la discussion.
On peut comprendre que quelqu’un qui a affaire à des questions profondément humaines provoque parfois la colère, blesse certaines sensibilités ou soit accusé de méfait politique ; c’est compréhensible, mais ce n’est pas plus justifiable et ni de plus de conséquence que si cette personne avait traité de la table périodique des éléments. « Comment osez-vous dire cela sur les lanthanides ? » n’est pas un argument.
Bien sûr celui qui s’investit en politique se moque complètement des sentiments de ses adversaires, mais ce n’est pas la question. Si vous ne concevez pas votre travail de professeur comme une humble recherche de la vérité, mais quelque chose d’autre, alors la liberté académique ne vous concerne tout simplement pas.
Qu’est-ce qui, après tout, est si précieux dans ce que vous faites qui mérite d’être protégé ? Nous n’avons pas besoin d’universités pour l’action politique. Ce doit être comme un temple situé à l’écart de ce type d’action, à l’abri du dévergondage revendicatif, de l’ambition et du plaisir de la conquête.
Nous n’avons pas besoin d’universités pour coller des étiquettes qui vont permettre aux gens de se sentir à l’aise dans les endroits publics ; nous avons cela, et plus qu’il ne faut, partout ailleurs. Si nous avons besoin de quelque chose, c’est d’une arène à l’écart de ces salons, dispensé de la nécessité d’examiner si la tante Lilian peut être placée à côté de l’oncle Frank, ou ce que grand-maman va penser si nous soulevons ce si déplaisant sujet de la vente de la ferme.
Il y a deux corollaires à ce que je dis ici. Le public n’a pas un intérêt primordial à lever des fonds pour alimenter la tribune de quelqu’un, ou pour un « vin et fromages » pseudo-académique, où on va soutenir toute personne qui a des opinions correctes. Rien de tout cela ne vaut un seul des dollars durement gagnés par le charpentier ou l’infirmière.
Tout compte fait, nous serions plus sages sans télévision ; et, tout compte fait, nous serions plus sages, sans les universités telles qu’elles sont. Mais si les catholiques, en l’état actuel des choses, ont un intérêt, c’est à trouver ces endroits qui se consacrent encore à la Vérité, quelle que soit la voie, raisonnable et justifiable, qu’ils choisissent pour mettre cet engagement en action. Ils ont besoin de notre soutien et le méritent.
04/01/2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/01/04/the-universities-we-do-and-do-not-need/
Tableau : Les étudiants de Torchlight Procession par Adolph von Menzel 1859 [National Gallery, Berlin]