Quand William F. Buckley junior publia God and Man at Yale (L’Homme et Dieu à Yale) en 1951, l’étiquette Yale signifiait quelque chose : une éducation de premier ordre. Aujourd’hui, Yale est l’une des écoles les plus compétitives d’Amérique, ce qui veut dire qu’il est difficile d’y entrer. Mais vous pouvez probablement apprendre tout autant à Albertus Magnus College ou à l’Université du Connecticut. Peut-être qu’un diplôme de Yale rend gaga certains employeurs, mais selon le récent diplômé de Yale Nathan Harden, auteur de Sex and God at Yale : Porn, Political Correctness, and a Good Education Gone Bad (Sexe et Dieu à Yale : pornographie, politiquement correct et une bonne éducation qui s’est pervertie), un diplôme de la grande école autrefois si renommée est un bon billet d’entrée pour l’industrie pornographique.
A Yale, de nos jours, il y a chaque année une Semaine du Sexe, durant laquelle prennent place des événements tels que « un concours de sosies de stars du porno (jugé par un producteur de films porno), des ateliers sur le sexe sans risque, des conférences sur l’orgasme féminin. »
M. Harden assistait à une présentation organisée par Patty Brisben, partenaire financière de la Semaine du Sexe, qui vend des sex toys (« des accessoires relationnels ») et qui menait son intervention avec l’habileté d’un bonimenteur de foire. Elle fait appel à des volontaires dans le public, dont des adolescents, et prétend réaliser un certain acte sexuel avec l’un d’entre eux. M. Harden commente :
« Je doute qu’un homme du même âge qu’elle (la cinquantaine) puisse échapper à la justice en pratiquant ce genre de démonstration avec une jeune femme. Le lendemain, une photo de l’incident paraît dans dans les actualités nationales. Pas du meilleur goût dans le dossier d’un établissement comme Yale. »
Mais Mme Brisben assure à un journaliste : « Si vous avez enseigné à vos enfants ce que vous estimez être la bonne morale de vie, je ne pense pas qu’avoir une Semaine du Sexe suffira à les corrompre. » C’est révélateur. La Semaine du Sexe seule ne peut suffire à corrompre, elle fait probablement partie d’une coalition avec d’autres épisodes de déviance.
La Semaine du Sexe est bien ce que vous craignez qu’elle soit, le pire. Est-ce un acte d’accusation de Yale ? Bien sûr, quoique les critiques de M. Harden soient parfois obscures. Par exemple, il s’étonne que Yale ait longtemps banni le recrutement militaire et le ROTC (école de formation d’officiers) — officiellement à cause du « don-t ask don’t tell » 1 — et accueille maintenant sur le campus Patty Brisben et ses semblables. Mais où est la contradiction ? Si la vision de l’élégante académie est que tout tourne autour du sexe, alors le sexe appartient au noyau de la pédagogie.
M. Harden aperçoit un lien : « Autrefois, Yale était animée par le sens du service de la nation. Maintenant elle est en proie à la vacuité morale. » Mais Yale (dans la mesure où l’excès sexuel est la politique officielle) a tout simplement des objectifs moraux différents de ceux d’Harden.
Nous ne parlons pas de la Semaine de l’Anarchie, au cours de laquelle la simple idée d’ordre moral serait niée. La Semaine du Sexe sert des notions d’éthique bien plus progressistes. C’est que sa philosophie s’opposant au conservatisme politique et à l’orthodoxie religieuse est, selon les « libéraux » de Yale, une valeur phare, la libération de la mystification. L’auto-sacrifice concret du service militaire est remplacé par l’auto-satisfaction béate du politiquement correct. Ce n’est pas un simple vide.
Bien sûr, M. Harden n’a pas tort de s’élever contre la déchéance dont fait preuve l’établissement où il a fait ses études. Mais son livre n’aura pas plus d’effet sur le déclin moral que n’en a eu God and Man at Yale six decennies plus tôt.
Yale est probablement une cause perdue. Mais il y a plein de facultés et universités où cette sorte de folie n’a pas cours, parce qu’une autre vision du monde nourrit leurs programmes et le comportement des étudiants. Harden écrit : « il y a un consensus écrasant à Yale comme quoi le porno est tout-à-fait sain et inoffensif. » Si cela est vrai, c’est une raison pour ne pas y faire ses études. Il le sait : « je devais me répéter sans cesse : je suis à Yale, je suis à Yale. Mais à dire vrai, je pensais être mort et revenu à la vie dans un autre monde étrange où ce genre de banalité passe pour la brillante éducation Yale. »
Peu d’Américains sont conscients de la laideur dont a été témoin M. Harden en qualité d’étudiant. Aux objections qui surgissent (et aux horreurs dénombrées) les promoteurs de la Semaine du Sexe offrent une panacée symbolique : les préservatifs. Je ne suis pas désinvolte quand je dis que ce n’est rien d’autre qu’une couverture.
M. Harden présente une nomenclature politiquement correcte que je n’avais pas encore entendue jusque là : que les préservatifs protègent des infections sexuellement transmissibles. Le mot « maladie » a été martelé sur tous les obélisques du royaume, bien que la raison pour laquelle le mot « infection » soit préférable reste obscure.
Ce qui est clair par contre, c’est que le sexe est mis à toutes les sauces par les étudiants, et pas seulement pendant la Semaine du Sexe. Il y a le cas de l’étudiante qui utilise le « produit » d’avortements successifs pour réaliser « de l’art ». M. Harden la cite : « C’est le but de… [mon art] de déstabiliser le lieu… de l’acte créateur [de Dieu], et ce faisant de l’arracher aux structures hétéronormatives qui cherchent à le naturaliser. ». Un vrai langage d’égaré.
Attention : contrairement au livre de Bill Buckley, celui d’Harden ne touche pas tant l’âme qu’il ne retourne l’estomac. Il est principalement un catalogue d’obscénités, bien qu’il ne soit pas lui-même obscène.
Buckley ne préchait pas des convertis, et son livre l’a conduit à la National Review. Le très long livre de M. Harden, convenablement réécrit pourrait se qualifier comme article de ce magazine. Mais aucun rédacteur y officiant ne laisserait passer des archaïsmes tels que celui-ci : « Le politiquement correct et le multiculturalisme en sont venus à dominer la vie universitaire moderne, spécialement en sciences humaines et en sciences sociales » non plus que la plupart des éditeurs n’auraient accepté le chapitre autobiographique qui se révèle sans objet dans le livre de M. Harden.
L’Hisoire de Harden est bien triste, comme celle de tous les jeunes à qui il est enseigné — avec autorité — que ce qui était mal est maintenant bien, que le sexe n’est pas seulement permis mais encouragé, dans la mesure ou il est « sûr, sain et consensuel ».
S’il y a des mots plus vides dans notre culture, je ne sais pas lesquels.
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Brand Miner, diplômé de l’université de l’Ohio, est rédacteur en chef de The Catholic Thing, membre de l’institut Foi et raison, membre du conseil de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux Etats-Unis. Il est l’auteur de 6 livres et ancien chroniqueur littéraire de National Review.
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Illustration : Adam et Eve chassés du Paradis par Ottavio Vannini, vers 1620)
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/universitas-orgiensis.html
- NDT : « don’t ask, don’t tell » (littéralement : ne posez pas la question, ne révélez pas) : résumé de la position de l’armée de 1993 à 2010 concernant l’homosexualité : on n’en parle pas. La loi interdisant aux homosexuels le service dans l’armée américaine (<>), c’était un assouplissement : les supérieurs ne menaient pas d’enquête tant que le comportement de l’engagé ne donnait pas prise au soupçon.