Le véritable cri du cœur que le pape a poussé hier à midi, place Saint-Pierre, devrait toucher non seulement tous les chrétiens mais aussi tous les hommes de bonne volonté. Ce qui se passe en Ukraine, notamment à l’égard des populations civiles et même des enfants, blesse nos sentiments les plus profonds. Pourtant, il n’est pas possible d’éluder le fait, que j’ai déjà rapporté, de l’attitude du patriarche de Moscou, qui soutient complètement Vladimir Poutine dans sa guerre contre le peuple ukrainien. Et cela en provoquant l’émoi de nos frères orthodoxes.
La question est d’une particulière gravité, puisque le patriarche Kirill veut se placer sur le terrain civilisationnel et métaphysique. Face à un Occident décadent moralement, la Russie représenterait l’intégrité chrétienne. Rhétorique particulièrement dangereuse parce qu’elle confère au conflit actuel une dimension religieuse qui conduit à la logique des extrêmes, sans médiation raisonnable possible. Il est vrai aussi que le langage du patriarche rejoint toute une tradition que l’on pourrait appeler slavophile et qui a contribué à éloigner la Russie de l’Occident. Qu’il y ait une culture russe, sensible notamment à travers toute une littérature de premier ordre, c’est indiscutable. Mais lorsque le génie russe conduit à un véritable schisme et attise la guerre des civilisations, la pente devient dangereuse.
Il est un personnage, auquel je suis personnellement très attaché, c’est Vladimir Soloviev, du fait d’une œuvre impressionnante à la mesure d’une personnalité qui avait marqué Dostoïevski, au point qu’il l’a transposée dans la belle figure d’Aliocha dans Les frères Karamazov. Soloviev est précisément l’avocat d’une réconciliation entre la Russie et l’Occident, l’orthodoxie et le catholicisme. Il a aussi analysé avec finesse les périls d’un certain impérialisme nationaliste. Voilà une grande voix russe à entendre aujourd’hui !