La situation absolument inédite qui est la nôtre, à cause de l’exigence de séparation sociale qu’elle induit, pourrait produire un repli généralisé dans un sens d’égoïsmes particuliers. Mais tel n’est pas toujours le cas. Nous savons l’extraordinaire générosité déployée par les services hospitaliers en premier lieu, qui leur valent reconnaissance et estime générales. Il y a aussi tous ceux et toutes celles qui assument les tâches indispensables à l’existence de tout un pays. Je ne les nommerai pas tous aujourd’hui. Mais je suis aussi témoin de gestes de solidarité et d’amitié, ne serait-ce que pour venir en aide aux personnes seules. Beaucoup d’initiatives sont prises de la part de bénévoles qui portent assistance aux hôpitaux souvent débordés.
Ainsi dans telle ville du Val-de-Marne, des bénévoles viennent chercher chaque jour à l’hôpital des coupons de tissus qu’ils emmènent chez eux pour des travaux de couture. Une dame, qui s’est complètement vouée à ce service, explique ainsi que plus de 1500 blouses ont été cousues en une semaine pour le personnel hospitalier, sachant que ces blouses ne peuvent être lavées que trois fois et qu’il fait donc sans cesse recommencer. Ce n’est qu’un exemple, mais significatif. Edgar Morin, notre philosophe-sociologue quasi centenaire, s’en félicite, en notant que pourrait se produire ainsi une mutation de civilisation : « L’intérêt individuel dominait tout, et voilà que les solidarités se réveillent. » Cependant, il s’interroge sur la possibilité d’une extension de solidarité à l’échelle de la planète : « Ce serait le moment, déclare-t-il, de rafraîchir notre humanisme, car tant que nous ne verrons pas l’humanité comme une communauté de destin, nous ne pourrons pas pousser les gouvernements à agir dans un sens novateur. »
Il est vrai que le problème est complexe, car la crise actuelle nous rappelle aussi à la nécessité des relocalisations économiques et des solidarités nationales. Le local et l’universel sont-ils forcément antinomiques, ou y a-t-il une possible harmonie entre eux ? Nous ne pouvons nous passer des médiations communautaires, sans lesquelles il n’y a que des agrégats d’individus et aucune possibilité de définition d’un véritable bien commun.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 avril 2020.
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