Noël, quand la Vierge-Mère donne naissance à l’Homme-Dieu, est une fête emplie de paradoxes. Un magnifique paradoxe au centre de cette célébration est l’union de la proportion et de la prodigalité, de ce qui est nécessaire et de ce qui est immérité. La naissance du Christ est à la fois proportionnée à nos besoins et prodigue dans ses dons.
L’Incarnation est un parfait exemple de cette maxime scolastique : quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur (Ce qui est reçu l’est selon la coutume de celui qui reçoit). En s’incarnant de la Vierge Marie, le Fils de Dieu s’adapte à notre « manière », de façon que nous puissions le recevoir. Dans sa miséricorde, il n’exige pas que nous devenions capables de le recevoir mais se met lui-même en état d’être reçu par nous. La véritable miséricorde a toujours cette qualité d’être adaptée, taillée sur mesure pour ceux qui en ont besoin, ni si haute qu’ils ne puissent l’atteindre, ni si difficile à accepter qu’ils ne puissent s’y faire.
Donc Dieu vient à nous d’une façon que nous pouvons recevoir. L’infini devient fini, l’éternel entre dans le temps et le Créateur de l’univers naît de la Vierge et repose dans une mangeoire. Nous pouvons le recevoir parce qu’il est devenu accessible à chacun de nous, qui que nous soyons, depuis les humbles bergers jusqu’aux Mages érudits. Nous pouvons plus facilement recevoir sa miséricorde parce que – sans rien perdre de sa puissance – il s’est mis à notre échelle.
Et pas seulement à notre échelle. La miséricorde de Dieu s’est également adaptée à notre nature humaine blessée. Il est né pauvre pour nous rencontrer, nous qui avons dilapidés nos dons et perdu notre héritage. Il est né sans domicile, pour nous qui vivons dans ce mode comme des exilés. Il est né exposé aux éléments et même à ses ennemis pour nous rencontrer, nous qui sommes si faibles et si vulnérables. Il est né isolé de son propre peuple, qui « ne l’a pas reçu » (Jean 1:11) pour être un avec nous, qui sommes isolés de Dieu et isolés les uns des autres.
Il s’unit à nous dans ces afflictions parce que la miséricorde ne toise pas la souffrance avec condescendance. Le Seigneur de la miséricorde se tient tout proche, s’unit à nous et devient un avec nous dans notre misère. La pauvreté de sa naissance désigne déjà Jésus comme l’homme des douleurs, celui qui est uni avec tous les genres de souffrance de l’humanité – souffrances mentales, émotionnelles, physiques, spirituelles.
Mais la simplicité et la facilité avec lesquelles nous pouvons maintenant approcher Dieu ne signifient pas que sa miséricorde est indulgente et permissive. Au contraire, comme tout nouveau-né, il crie et demande quelque chose de nous. Le Christ-enfant réclame quelque chose de nous : que nous le recevions et que nous lui répondions. Pourtant, même ce désagrément est adapté à nos besoins car il nous préserve du vice de tenir sa miséricorde pour acquise.
Dieu n’impose pas sa miséricorde. Mais il nous appelle, offrant cette miséricorde à tous ceux qui désirent la recevoir et vivre en accord avec elle. Et la réponse qu’il désire rend sa miséricorde d’autant plus nôtre. Elle fait de plus en plus partie de nous quand nous répondons à sa proposition, quand nous profitons de ce qu’il nous donne, quand nous nous hâtons vers Bethléem.
En même temps, même si la miséricorde de Dieu est proportionnée à nos besoins comme créatures blessées et rebelles, elle est également prodigue dans ses réalisations. « Car de sa plénitude nous avons tout reçu, grâce sur grâce » (Jean 1:16). La miséricorde de Dieu est proportionnée à ce que nous sommes mais cherche à nous rendre supérieurs à ce que nous sommes. « Car le Fils de Dieu est devenu homme afin que nous puissions devenir Dieu » (Saint Athanase).
Contrairement à notre miséricorde pingre et étriquée (je pardonnerai quand on me demandera pardon… je te pardonne pour cette fois…), la miséricorde de Dieu va de l’avant et surpasse ce que son peuple demande et désire. Le peuple d’Israël attendait que Dieu lui envoie un sauveur ; Dieu vient lui-même pour être son sauveur. Il attendait la libération des puissances terrestres ; il a été délivré de toutes les puissances, naturelles et surnaturelles. Israël s’attendait à un sauveur qui lui soit propre, le sauveur est venu pour sauver tout le monde, même ses ennemis. Les Israélites priaient pour que le Royaume d’Israël soit restauré, le sauveur les a conduits dans le Royaume de Dieu.
Cette prodigalité est déjà révélée lors de sa naissance. Les bergers – perçus comme la lie de la société à cette époque, vivant dans les champs – reçoivent la première annonce et reçoivent le privilège d’être les premiers à l’adorer. C’est bien plus que ce qu’ils méritent ou espèrent. De même, les Mages, des étrangers de l’extérieur sans aucun droit sur la promesse, reçoivent la grâce de l’adorer avant même que son propre peuple ait appris sa naissance.
Cette prodigalité à Bethléem donne le ton de la vie publique future de Notre Seigneur. Il commence son ministère en changeant en vin non pas une minuscule quantité d’eau mais plusieurs centaines de litres. Et pas seulement en vin mais en un vin de la meilleure qualité qui soit. Il conclut son ministère en ouvrant son côté et en permettant au sang et à l’eau de jaillir à flot. Sa parabole décisive parle d’un fils dont le style de vie prodigue n’est surpassé que par la prodigalité de la miséricorde de son père.
Le Christ-enfant réclame une réponse. Dans sa petitesse et sa pauvreté, il s’est mis à notre niveau de pauvres créatures déchues. Puissions-nous ne pas lui interdire l’accès à notre faiblesse et à nos blessures. Dans sa divinité, il est venu nous donner grâce sur grâce. Puissions-nous ne pas demander moins, ne pas espérer moins. Hâtons-nous vers Bethléem pour le remercier de venir à nous dans notre détresse et pour recevoir la richesse de la grâce qu’il désire nous communiquer.