Lorsque Georges Puig, viticulteur à Passa, traverse le pont Joffre de Perpignan, le 18 février, il ne peut s’empêcher de s’arrêter et de mesurer l’ampleur de la catastrophe : la rivière de La Têt, qu’enjambe le pont, est quasiment à sec. Depuis des années, la sécheresse frappe la région, mais ces derniers mois ont été particulièrement rudes. Deux jours plus tard, il se rend à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Perpignan afin de prier auprès des reliques de saint Gaudérique, saint local du IXe siècle. « Dans les familles du Roussillon, on a toujours prié Gaudérique quand la pluie venait à manquer », rappelle le viticulteur. Là, il rencontre le premier vicaire, l’abbé Christophe Lefebvre. « J’ai demandé si l’on pouvait exposer les reliques, nous avons évoqué les processions d’autrefois et, naturellement, la décision était prise de relancer la procession pour demander une intervention du Ciel », raconte Georges Puig. La date est fixée au 18 mars, sans qu’il soit possible d’établir des prévisions météorologiques.
Trois heures de pluie
La suite de l’histoire est d’une simplicité biblique : la procession a lieu et, le soir même, il tombe en trois heures l’équivalent de trois semaines de pluie, bien au-delà des prévisions du jour. « On obtient de Dieu en proportion de ce que l’on espère ! » lance l’abbé Christophe Lefebvre, pour qui il ne fait « aucun doute » que la pluie est la conséquence directe de la procession. Près de 600 personnes ont suivi la procession, qui s’est élancée depuis un parvis bondé jusqu’à La Têt, à quelques centaines de mètres. Encensement des reliques, goig – chant populaire catalan – et litanies en l’honneur du saint ont accompagné les reliques, emmenées par des porteurs au milieu de La Têt, dont le cours ne dépasse plus les vingt centimètres de hauteur. La procession s’est enfin accompagnée d’une bénédiction du territoire avec une relique de la Vraie Croix et la lecture, aux quatre points cardinaux, d’un extrait d’un des quatre évangiles.
Les mauvaises langues ne peuvent s’empêcher de voir dans cette démarche une superstition. « La pluie est une très belle réponse du Ciel » avance immédiatement l’abbé Benoît de Roeck, curé de la cathédrale, qui n’a jamais douté du bien-fondé et de l’issue de la procession. D’autant que la pluie a surpris tout le monde : elle ne fut ni un crachin, ni des trombes d’eau inondant la plaine, « mais une pluie qui a abreuvé la terre », souligne l’abbé de Roeck.
Suivie par 600 personnes, catholiques aussi bien que, pour certaines, éloignées de la foi, la procession a été la démonstration d’une authentique piété populaire. « Depuis deux ou trois ans, ce monde qui se croyait tout-puissant commence à mesurer sa vulnérabilité, à réaliser sa fragilité devant la nature et donc devant son Créateur », avance le curé de la cathédrale, peu surpris par cet élan de foi dans une terre encore très attachée aux démonstrations publiques. « La dévotion populaire a conduit les peuples à travers les siècles et ce n’est pas pour rien qu’on la retrouve aujourd’hui. Elle a été dénigrée, mais rien ne remplace la foi populaire, car elle est simple et donc vraie. »
À l’issue de la procession, lorsque les dix porteurs ont reposé les reliques dans la chapelle de la cathédrale, il a été décidé de relancer la confrérie Saint-Gaudérique, dissoute à la Révolution. Du côté de la paroisse, on songe à rendre annuelle cette procession. C’est là le double bienfait de saint Gaudérique : en faisant tomber la pluie, il a non seulement abreuvé la terre, mais aussi la foi locale.