On entend là-haut le bruit d’une tornade, quelque chose comme une explosion que l’on contrôle et prolongée, et les gens de la ville se précipitent à leurs fenêtres pour regarder.le ciel. Un appareil est en train d’ y « écrire » un message sur le bleu du ciel tandis que le pilote hurle avec démence.
« RE-NON-CEZ A LA LIBERTE, » « Renoncez à la liberté ! Qui est Liberté ? Qu’est-ce que cela signifie ? »
« Je suis Liberté », dit une innocente et jolie fille.
Dans la nation Miss Liberté décorait d’habitude le revers de presque chaque pièce de monnaie. Pas de face sinon la sienne ; mais c’était il y a longtemps, à supposer que cette nation ait jamais existé. Peut-être que non. C’est de plus en plus difficile à croire.
C’était une nation aux larges épaules et affairée, c’est vrai, mais il y avait ici et là éparpillées à travers ses vastes plaines et la somme de ses années des sources de silence apaisant. On le disait en tout cas. Il y avait un temps, dit-on, où, entre les soulèvements réguliers de la croûte politique, les gens vaquaient aux joies sérieuses de l’existence, sans s’occuper du bruit et de l’ambition de leurs supérieurs.
Voici un homme qui paraît dans le bleu profond des heures qui précèdent le crépuscule. Il est en train de piquer du foin avec une fourche, pour le jeter aux vaches dans l’enclos. Ces animaux larges et lents grattent la terre et grognent, leur haleine s’élevant en volutes qui apparaissent et disparaissent, de plus sans dire un seul mot pour ennuyer le monde.
Voici une femme, les mains et les bras enfarinés jusqu’aux coudes, pétrissant la levure pour quelques mesures de pâte, fredonnant pour elle-même une mélodie, une mélodie avec des mots, mais elle ne pense pas aux mots, parce que le calme de l’après-midi lui donne tous les mots qu’elle désire.
Voici un enfant allongé sur une colline herbue, lisant un livre au chaud soleil. Il appuie une main sur sa tête et maintient le livre sous l’autre. Les mots viennent à lui comme des messages dans une bouteille, envoyés par leur auteur d’un autre monde, rempli de la distance silencieuse du temps. Les chants des cardinaux et des moineaux autour de lui sont comme un cadre de dentelle pour le monde qu’il trouve dans le livre.
Il y eut un temps, dit-on, avant la manufacture industrielle des mots. Renoncer à la Liberté : renoncer au silence. Je pénètre dans un bistrot pour un petit-déjeuner rapide. L’écran au-dessus de moi beugle et éblouit. Une femme crie, hurle presque les nouvelles. « Il semble qu’il ne reste plus un seul espace» dit Max Picard dans Le Monde du silence, « où il puisse y avoir eu autre chose que le bruit. Nous le prenons comme il nous est offert comme nous prenons comme offert l’air lui-même. Tout commence et finit dans le bruit. »
Au commencement était le bruit, et le bruit était avec l’ennui, et l’ennui était le bruit.
Sur l’écran apparaît un candidat à une fonction politique. Bien que les clients au comptoir soient incapables d’entendre le bruit politique dans le bruit de la cuisine et des employés, dans un coin de l’écran les mots sont épelés, une ou deux lettres après l’autre, comme la fumée dans le ciel. C’est un hurlement pour les sourds ou les assourdis.
La bouche du candidat remue, mais comme Picard le dit : « Personne ne l’écoute quand il parle, car écouter n’est possible que quand il y a silence dans l’homme : écoute et silence sont inséparables. » Mais personne dans ce monde, le monde « réel », n’a jamais quitté le chemin qui l’emmenait vers les hauteurs du prestige et de la légende pour maintenir la paix, écouter, faire silence. « Au lieu de parler vraiment aux autres aujourd’hui », dit Picard, « nous attendons tous simplement de nous décharger sur les autres des mots qui se sont assemblés en nous » ?
La bouche du candidat bouge et son visage bouge aussi, un visage plastique qui assume les contorsions d’années de vacarme, d’années où on a chargé le monde de mots. « Le discours », dit Picard, « est devenu une fonction purement animale, excrétive. »
Le candidat excrète des mots : Amérique, futur, je veux, demain, travail, lutte, nous voulons, mieux, enfants, je veux, Amérique, gagner, je veux, je, moi, je. Un candidat adverse excrète les mêmes mots. C’est une fonctions animale, ou une fonction mécanique : on pense au gros tube qui extrude du plastique liquide dans des moules. Le candidat, ou le système, est l’extrudeur, les mots sont le plastique liquide, et nous somme les moules.
Un vieux couple marié qui s’aiment l’un l’autre a vivement besoin de ne pas parler. Leur silence parle . Il lit un livre, elle tricote. Leurs bras se frôlent.
Tout dans la loi et l’éducation, dans ce monde dont il est de plus en plus difficile de croire à l’existence, ne sert qu’à rendre possible pour un vieil homme ou une vieille femme de s’asseoir l’un à côté de l’autre chez eux, elle tricotant, et lui lisant un livre. tout dans l’économie et la technologie ne servent qu’à rendre possible pour une enfant de sommeiller sur une colline, avec la main sur le livre qu’il était en train de lire.
Mais la nation du bruit, ce n’est pas cela. L’homme « est devenu un simple appendice du bruit » » dit Picard. Il croit de moins en moins à la réalité de sa propre existence ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle il y a quelque chose qui semble si maniaque, si obsédant, pour le candidat ou pour tous les autres qui se pavanent et hurlent. C’est comme si un moment de silence pouvaient les plonger dans la non existence. Ils émergent du bruit, et qu’ils le veuillent ou non, ils doivent disparaître de nouveau dans le bruit, car bruit ils sont et bruit ils doivent redevenir.
Que devons-nous faire alors ? Beaucoup de choses hélas. Surtout peut-être faire comme le dit Picard : « Créer le silence ». Être à nouveau humain. Visiter à nouveau cet autre monde, le vrai,non le monde « réel » de l’ambition infatigable et de l’ennui. Abandonner la licence : chérir la liberté.
« Là où le silence est encore une force active, l’homme est constamment recréé par la parole qui sort du silence, et qui ne cesse de disparaître dans le silence devant Dieu. »
16 avril 2015
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/04/16/a-nation-of-noise/
Photo : La statue de la Liberté dans son atelier parisien vers 1885.
Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Ses derniers livres sont « Reflections on the Christian Life : How our story is God’story » [Réflexions sur la vie chrétienne : comme notre histoire est histoire de Dieu] et Ten Ways to destroy the Imagination of Your Child [Dix moyens de détruire l’imagination de votre enfant].Il enseigne à Providence College.