On a, au fil des siècles, associé la Chrétienté — peut-être particulièrement le catholicisme — à l’antisémitisme. L’histoire est bien connue, et je ne vais pas la redire. Mais derrière toute la violence, les persécutions et l’intolérance, se profilait l’infâme et sanglante accusation: les Juifs ont rejeté et mis à mort Jésus Christ, et leur crime colle non seulement à ceux qui réclamèrent la crucifixion du Seigneur mais aussi à leur descendance, et jusqu’à nos jours. L’Église, il faut le dire, ne s’est jamais sentie à l’aise à propos de cette accusation, et n’a jamais officiellement pris en compte une telle argumentation. Et pourtant elle a attendu le vingtième siècle pour qu’apparaisse une sorte de sentiment pro-sémite, spécialement sous l’impulsion de Jean-Paul II, action qui se perpétue au vingt-et-unième siècle avec le travail de nombreux membres de l’Église cherchant à retrouver les racines Juives de la foi Catholique.
La tâche a été entreprise par Benoît XVI et des membres du Vatican, ainsi que nombre d’écrivains; parmi eux: Roy Schoeman, Juif converti au catholicisme, dans son extraordinaire Salvation is from the Jews: The Role of Judaism in Salvation History from Abraham to the Second Coming, Taylor Marshall, un prêtre anglican qui a franchi le Tibre, dans son « bestseller » The Crucified Rabbi: Judaism and the Origins of Catholic Christianity; et à présent Brant Pitre, catholique de toujours, professeur d’écriture sainte au séminaire Notre-Dame à La Nouvelle Orléans, dans son dernier ouvrage, Jesus and the Jewish Roots of the Eucharist: Unlocking the Secrets of the Last Supper. ( Il existe aussi un disque extraordinaire de chants et cantiques Juifs et Catholiques, The Sacred Bridge, montrant l’évolution musicale intime des deux fois.) Lire chacun de ces livres est une expérience vraiment extraordinaire, mais le livre du Dr Pitre tout juste sorti des presses de Doubleday mérite une attention particulière.
Il est extrêmement rare qu’un livre aussi nettement fondé sur une vaste recherche d’une grande érudition soit aussi facile à lire que Jesus and the Jewish Roots of the Eucharist. [Jésus et les racines juives de l’Eucharistie] Cette érudition couvre non seulement une étude approfondie de la Bible, des Pères de l’Église et du Catéchisme mais aussi une lecture précise de commentaires Juifs tels que les diverses éditions de Mishneh Torah, du Talmud et autres sources hébraïques anciennes et actuelles. Le travail de Pitre participe d’une révolution en cours révélant (non au sens divin, mais au sens de l’érudition historique) le besoin de saisir l’universel qui se dégage du particulier. Comme l’écrit notre Pape Ratzinger: «le message de Jésus est totalement incompris si on l’isole du contexte de foi et d’espérance du Peuple élu…» Le Christ s’est adressé à tous pour toutes les époques, mais les termes qu’Il a choisis et leur écho dans l’esprit des Juifs qui L’entendaient au premier siècle sont fondamentaux pour notre compréhension de Celui qui est en vérité le Messie.
J’ai épousé une juive et chez nous le point culminant du printemps est le repas pascal que prépare ma femme et que nous célébrons avec famille et amis, juifs et chrétiens. Les grandes convergences entre le repas pascal — « Seder » — et la messe catholique sautent aux yeux de quiconque a assisté aux deux. Tout simplement parce que la Cène était pour Jésus Son dernier repas pascal. Le Professeur Pitre démontre l’importance des rôles joués dans l’Eucharistie par l’histoire du peuple juif et par l’histoire de notre salut.
Bien sûr, la Pâque est la commémoration de la sortie d’Égypte par les Juifs. À la messe nous célébrons Jésus comme le Messie, le nouveau Moïse qui nous guide pour sortir de la captivité du péché vers notre destin céleste. Mais pendant cet exode Juif — non seulement la veille du départ, quand l’ange de la mort frappa les premiers-nés des maisons qui n’avaient pas la marque du sang de l’agneau — Dieu donna du pain pour sustenter les voyageurs: la manne. Bref, ce pain céleste ressemble tout-à-fait à la Communion pour les Catholiques: le corps transsubstantiel du Christ, Dieu aux cieux. La manne (ultérieurement le « Pain de la Présence ») était conservée dans l’Arche d’Alliance pendant et après l’exode, et consommée en un sacrifice rituel de pain et de vain (Cf. Lévitique 24:5-7), de même que l’Hostie consacrée est conservée de nos jours dans les tabernacles Catholiques, attendant d’être donnée en Communion.
Parmi les chapitres les plus fascinants de cette attachante histoire, c’est certainement, selon Brant Pitre, la question du sang: Comment un fidèle et pieux juif tel que Jésus de Nazareth pouvait-il parler comme il l’a fait à maintes reprises, et non seulement lors de la Cène, du besoin de boire Son Sang ? Après tout, boire du sang est contraire à la règle cacher, boire du sang humain est une abomination, un blasphème. Comme le remarque Pitre, aucun prophète n’avait, au grand jamais, suggéré un tel acte. Mais Jésus, nous le savons bien, est davantage qu’un prophète. Pitre s’exprime ainsi:
« En un mot, le « Pain de la Présence » était miraculeux. Après tout, il suffit d’un miracle pour changer le pain et le vin en corps et sang du Messie.»
Et Pitre cite Saint Cyrille, évêque de Jérusalem au quatrième siècle: Jésus a changé l’eau en vin à Cana, « ainsi donc est-ce incroyable qu’Il ait changé le vin en sang ? » Sang, vin, Pâque, Eucharistie, prophétie, accomplissement.
Bien évidemment, je picore dans ce remarquable ouvrage. Mais, familier avec l’histoire vivante du Judaïsme et du Christianisme, je ne peux que dire combien est prenante la lecture du récit par Brant Pitre du Dernier Repas et du quatrième calice du vin de la Pâque, celui dont le Seigneur a dit qu’il ne le boirait qu’en arrivant au Royaume des Cieux.
Il est simplement impensable que les liens entre la Pâque et la Messe, entre la manne et l’Eucharistie, et entre les prophètes et le Messie ne sont pas intrinsèquement, à la fois dans les Écritures et dans la tradition, une preuve positive de l’absolue vérité de notre croyance à nous catholiques. Baruch Shem Kivod Malchuto LeOlam Va’ed! [Béni soit Son Nom Glorieux, Lui dont le Royaume est pour les siècles des siècles!].
Brad Miner, ancien éditeur littéraire de la National Rview, est rédacteur senior de The Catholic Thing.
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