Le cinquantaine anniversaire de « Humanae Vitae » l’an passé a amené la première publication d’une lettre personnelle à Paul VI envoyée par celui qui était alors le cardinal Karol Wojtyla. Dans cette lettre, l’archevêque polonais remerciait le pape pour son encyclique. Il faisait alors des propositions concrètes pour une instruction pastorale « absolument nécessaire » venue du Vatican pour surmonter les « doutes actuels » sur l’interdiction du contrôle [artificiel] des naissances, la nature de la vie conjugale et l’autorité doctrinale du pape.
Au-delà de son explication fascinante et directe des controverses clés entourant l’encyclique, cette lettre – plutôt un essai par la longueur et le style – offre un aperçu provocateur sur ce qui deviendrait les enseignements magistraux du futur pape (et saint) Jean-Paul II.
Ecrivant en 1969, quelques mois après la publication de « Humanae Vitae », le cardinal Wojtyla a vu clairement que les critiques de la matière et du style de l’encyclique touchent au cœur de la mission de l’Eglise : « défier la doctrine morale de l’Eglise dans un domaine aussi important que celui traité par l’encyclique peut être une occasion de donner essor à un plus large processus de contestation d’autres éléments de la foi et de la pratique chrétiennes. »
Comme nous le savons des décennies plus tard, cela ne s’est montré que trop vrai.
Premièrement, concernant la foi et la pratique chrétiennes générales, Wojtyla s’adresse à l’aptitude de l’Eglise à enseigner avec autorité en matière morale. Immédiatement après la parution de « Humanae Vitae », des théologiens dissidents se sont entichés des ondes et des tribunes libres des journaux pour miner l’autorité de l’Eglise à présenter des enseignements contraignants sur les sujets moraux.
Vingt-cinq ans plus tard, comme pape, Jean-Paul II a approuvé la publication de « Donum Veritatis : sur la vocation ecclésiale du théologien », qui cherchait à réorienter la théologie vers une vocation au service de l’Eglise et non d’idéologies mondaines.
Wojtyla n’était pas précisément timide dans sa lettre de 1969 en affirmant que « Humanae Vitae » était une expression faisant autorité de la mission enseignante de l’Eglise : « l’encyclique ‘Humanae Vitae’ n’est pas un document solennel de l’enseignement ex cathedra ; par conséquent il ne contient pas de définition dogmatique. Cependant, puisque c’est un document de l’enseignement ordinaire du pape, il a un caractère infaillible et irrévocable… Il est impossible de penser que la morale conjugale contenue dans l’encyclique puisse être révoqué, c’est-à-dire considérée comme faillible. »
Cet accent mis sur l’infaillibilité du Magistère Ordinaire – les enseignements cohérents et universels du pape et des évêques en union avec lui au cours des âges – deviendrait la tactique préférée de Jean-Paul II pour conduire les déclarations doctrinales les plus sensibles de son pontificat.
Plutôt que délivrer des définitions solennelles, Jean-Paul II a fait appel au Magistère Ordinaire pour enseigner avec infaillibilité l’immoralité de l’avortement dans « Evangelium Vitae » en 1995 et la restriction de la prêtrise aux seuls hommes dans « Ordinatio Sacerdotalis » en 1994. En usant de ce moyen pour enseigner avec autorité, Jean-Paul II montrait que cela n’était pas seulement ses enseignements à lui, mais ceux de l’Eglise universelle – proclamés toujours et partout par tous.
Une seconde préoccupation majeure soulignée dans la lettre de Wojtyla est « la conscience et sa relation à la loi morale. » A la suite de « Humanae Vitae », beaucoup de couples ont entendu des théologiens et des pasteurs leur dire qu’ils pouvaient utiliser des moyens artificiels de contrôle des naissances si leurs consciences le jugeaient acceptable.
Wojtyla a vigoureusement condamné ce mauvais usage de la conscience qui n’est pas « une norme supérieure à la loi morale. » Il a continué : « attribuer à la conscience une autorité qui lui donnerait non seulement un rôle normatif mais également un rôle législatif serait contraire aux fondements tant de l’éthique naturelle que de l’éthique révélée. Une telle autonomie équivaudrait à accepter le relativisme et le subjectivisme en morale. »
Cette incompréhension de la conscience a pris une ampleur considérable depuis. Comme pape, Jean-Paul II lui-même a mis en application le rôle qu’il proposait à Paul VI : il a publié en 1993 son encyclique de théologie morale « Veritatis Splendor » probablement l’écrit le plus important de son pontificat.
Il y fait une critique identique sur l’attribution erronée à la conscience de « la prérogative de déterminer en toute indépendance les critère du bien et du mal et d’agir ensuite en conséquence. » Il a ensuite développé, dans le cœur de l’encyclique, la juste compréhension de la conscience comme fondée sur la liberté, la vérité et la loi naturelle, tous sujets mentionnés plus brièvement dans sa lettre de 1969.
Troisièmement, la lettre de Wojtyla pressait Paul VI d’ « exposer la doctrine du mariage… en vue de présenter une perspective claire et vraie du thème de l’amour marital. » Il ajoutait en particulier la nécessité « d’insister sur le fait que le mariage est une vocation. »
Il a ensuite souligné les rôles de la fécondité, de la continence et de la souffrance dans le mariage. Il n’entretenait pas d’illusion sur le fait que des matières aussi essentielles pourraient être passées sous silence ou jugées inappropriées : « Il est donc du domaine du maître de morale et de l’enseignant qu’est l’Eglise de saisir et de souligner les limites qui, dans la sphère des valeurs sexuelles, font passer d’un acte dignement vécu à un usage abusif. »
Comme pape, Jean-Paul II n’a pas gaspillé de temps avant de prendre les rênes : dans l’année de son élection, il a commencé une série de discours maintenant bien connus sous le titre « Théologie du corps » dans lesquels il faisait ressortir la signification de la sexualité humaine à la lumière de notre dignité de personnes humaines créées à l’image de Dieu. Plus tard, il a offert sa vision de la façon dont la vocation du mariage doit être vécue dans « Familiaris Consortio » en 1981.
La lettre de Wojtyla est excellente en soi, et toujours très pertinente pour nous cinquante ans plus tard. Elle met l’accent sur l’urgent besoin d’agir sur ces questions – un besoins toujours pressant aujourd’hui. Comme pape, il ne les a pas traitées tout de suite, mais il l’a fait finalement, et suprêmement bien. La lettre met en évidence un fait crucial : les enseignements phares du pontificat de Jean-Paul II ont été élaborés en réponse à la crise de vérité qui a trouvé son expression la plus aiguë dans la Révolution Sexuelle.
David G. Bonagura Jr. enseigne au séminaire Saint Joseph de New York.
Illustration : Deux saints partageant la même pensée.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/05/an-urgent-letter-from-the-future-jpii/