«Scrutant le mystère de l’Église, le concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d’Abraham. »
C’est le concile Vatican II, dans sa déclaration Nostra ætate, qui a précisé avec le plus de netteté l’irréductible relation de l’Église avec le peuple juif issu de la lignée d’Abraham. Il s’agit là d’un des apports théologiques les plus importants du concile, dont on n’a pas mesuré encore toute la portée. L’Église catholique mettait fin ainsi à des siècles d’anti-judaïsme religieux qui avaient eu des conséquences persécutrices. Mais elle agissait non point en récusant sa propre tradition mais en la restituant dans sa vérité essentielle, celle que l’apôtre Paul avait énoncée dans son épître aux Romains. Blaise Pascal, en son temps, avait anticipé pareil discernement, simplement par une méditation attentive de l’histoire :
« J’admire une première et auguste religion, toute divine dans son autorité, dans sa durée, dans sa perpétuité, dans sa morale, dans sa conduite, dans sa doctrine, dans ses effets… »
Dans la conjoncture actuelle il est capital de rappeler cette donnée théologique, parce que l’antisémitisme qui sévit aujourd’hui se réfère à des racines religieuses, même s’il continue à se réclamer des stéréotypes classiques de l’hostilité à l’égard du peuple juif. Ainsi que l’écrit Pierre-André Taguieff dans Le Monde du 30 mars :
« S’il est vrai que les passions anti-juives se sont mondialisées, c’est avant tout parce qu’elles se sont islamisées. Avec cette transformation, impliquant une refonte doctrinale en même temps qu’un déplacement du principal foyer de l’hostilité antijuive, s’est opérée une théologisation de la haine des Juifs. C’est sur cette nouvelle base politico-culturelle que s’accomplit et se légitime la démonisation des Juifs. »
Nous sommes donc confrontés à un changement de paradigme qui déconcerte ceux qui assimilent l’antisémitisme à ses sources européennes et à une histoire qui nous renvoie au XVIIIe siècle de Voltaire et aux luttes civiles de l’affaire Dreyfus.
Sans doute, la crainte d’attiser « l’islamophobie » et surtout le ressentiment à l’égard de nos compatriotes musulmans empêche-t-il souvent d’identifier clairement la cause de ce que Pierre-André Taguieff préfère appeler la judéophobie à l’œuvre aujourd’hui. Mais rien ne justifie un aveuglement aux conséquences désastreuses. Ce pourrait être d’ailleurs une des tâches urgentes du dialogue interreligieux que de débusquer les racines d’une hostilité qui contamine une partie de la population et notamment des jeunes en situation de fragilité par rapport à une propagande qui poursuit ses ravages et continuera à répandre la haine, tant qu’elle n’aura pas été identifiée et fermement condamnée.
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