Une histoire en guise d'avertissement (Les débats entre Lincoln et Douglas en 1858) - France Catholique
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Une histoire en guise d’avertissement (Les débats entre Lincoln et Douglas en 1858)

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Les débats entre Lincoln et Douglas en 1858 préludaient à une élection que, on l’oublie souvent, perdit Abraham Lincoln. Ces débats portaient sur nombre de sujets alors fort importants, mais un sujet dominait nettement: la question de l’esclavage. À dire vrai, nul ne se soucierait aujourd’hui de l’opinion de Douglas sur les questions économiques, les ressources monétaires, ou les taxes, par exemple. Le seul point qui nous intéresse ici est qu’il a voté pour l’esclavage.

Soyons clairs, Douglas a maintes fois répété qu’il n’était pas « partisan » de l’esclavage, mais il était également un des promoteurs du principe de « souveraineté du peuple », laissant aux États le soin de décider eux mêmes.
« Je soutiens, disait Douglas, que l’humanité et la Chrétienté désirent toutes deux que les nègres bénéficient de tous les privilèges et immunités compatibles avec la sécurité de la société où ils se trouvent. J’imagine que, sur ce point, il ne peut y avoir d’opinions divergentes. Nous devons, vous et moi, accorder à ces êtres inférieurs et dépendants tous les droits, privilèges, services et immunités attachés au bien public.

La question se pose alors, quels droits et privilèges sont attachés au bien public ? C’est une question à laquelle chaque État, chaque Territoire doit apporter sa propre réponse — l’Illinois a déjà répondu. Nous avons décrété qu’un nègre ne serait pas un esclave, et nous avons également décidé qu’il ne serait pas un citoyen, mais protégeant ses droits civils, sa vie, sa personne, ses biens, ne le privant que de droits politiques de toute nature, et refusant de le mettre sur un pied d’égalité avec les blancs. Cette politique de l’Illinois convient au Parti Démocrate [gauche] comme à moi-même sur ce sujet et s’il en était de même avec les Républicains [droite], la question ne se poserait pas ; mais les Républicains disent qu’il [le nègre] devrait être un véritable citoyen, devenant ainsi notre égal avec tous les droits et privilèges. Ils considèrent que l’arrêt rendu contre Dread Scott [1857] est une décision monstrueuse car déniant à un nègre le droit à la citoyenneté selon les termes mêmes de la Constitution. Et maintenant, je maintiens que de même que l’État d’Illinois a le droit d’abolir et interdire l’esclavage, de même l’État du Kentucky a le droit de conserver et perpétuer l’esclavage. »
Autrement dit, Douglas était la quintessence du candidat « pro-choix » : il proposait le choix pour tous — sauf, bien sûr pour les noirs Américains qui n’étaient pas des gens « à part entière » selon la loi en vigueur. Quant à son vœu d’étendre aux noirs « tous les droits et privilèges » « compatibles » avec le bien public c’était du concentré de double langage : ce qu’il offrait si généreusement d’une main, il le reprenait brutalement de l’autre.

N’allez pas croire que Douglas n’hésitait pas à traiter Lincoln de « déraisonnable », « hors du bon sens », acoquiné aux abolitionnistes « fanatiques ». Il ne cessait de battre du tambour. Lincoln, cependant, n’était aucunement un modèle au sujet de l’esclavage, préférant des « compromis pragmatiques », incitant certainement certains abolitionnistes à lui préférer un candidat plus « pur ». C’est ainsi que bien des électeurs votèrent « contre » Lincoln : ceux qui n’approuvaient pas son opposition à l’esclavage ; ceux qui étaient persuadés qu’il n’était pas assez opposé à l’esclavage ; et ceux pour qui la question de l’esclavage n’était qu’un problème parmi bien d’autres et en définitive préféraient Douglas.

Ce serait une erreur de considérer que toutes les questions avaient la même importance considérable que l’esclavage, on commettrait la même erreur en ne voyant pas qu’il y a dans l’Histoire des moments où les injustices sont tellement flagrantes qu’elles dépassent tout le reste, même si ce n’était pas alors évident pour tous.

Après la seconde guerre mondiale, on n’aurait pu trouver un seul nazi en Allemagne, et pourtant ce parti avait été élu avec de confortables majorités lors de toutes les élections, jusqu’à ce que la guerre commence à mal tourner en 1942. Personne ne regarde en arrière pour dire de ces électeurs : « bien sûr, le candidat nazi votait pour la déportation des Juifs, mais il faisait peut-être de bonnes propositions économiques. » Personne ne s’interroge maintenant sur les questions économiques d’alors.

Dire « Mais leurs trains arrivaient à l’heure ! » est reçu avec une sorte de mépris, vu la marchandise humaine que ces trains transportaient. Et on n’a guère d’indulgence pour celui qui soutiendrait que, l’économie s’améliorant, la pression pour déporter les Juifs pourrait s’atténuer. On ne peut contrôler les conséquences sous-jacentes ; ce que les gens préfèrent ou rejettent peut survenir. Les candidats qui s’opposent à la vie sapent les fondements de la république.

Alors qu’approchent les prochaines élections [NDT : USA novembre 2012] on ferait bien de se rappeler cette histoire en forme d’avertissement. Dans deux cents ans, quand les aspects moraux seront plus nets, y aura-t-il quelqu’un pour se soucier des broutilles politiques qui nous occupent actuellement ? Ou, plus simplement, se demandera-t-on (comme on s’interroge sur les votes de nos anciens) qui a voté « contre » l’avortement, et qui n’a pas voté « contre » ?

L’enseignement de l’Église a été maintes fois répété ; il est plus net à certains égards qu’il n’était au sujet de l’esclavage ou du sort des Juifs. On me demande souvent : « Pourquoi les évêques Allemands n’ont-ils pas excommunié les catholiques ayant élu les nazis ? » Je ne sais pas. Mais j’aurais plutôt tendance à moins considérer les péchés du passé qu’à tenter d’éviter mon propre aveuglement moral. Le jugement est une lame à double tranchant.

L’Église ne peut contraindre comme le font souvent les gouvernements ; elle ne peut que faire appel aux consciences des hommes et des femmes de bonne volonté. Cette idée peut-elle aider ? « Un catholique à la conscience bien formée ne peut voter pour un candidat favorable à l’avortement et contre un candidat qui veut le restreindre », pas plus qu’un catholique à la conscience bien formée n’aurait pu voter pour un candidat esclavagiste ou pro-nazi. De nos jours, quelqu’un pourrait-il prétendre qu’un catholique aurait eu quelque raison pouvant justifier son vote pour Douglas contre Lincoln, ou pour un nazi contre les Juifs ?

Ne vous leurrez pas. Ceux qui ont des oreilles, qu’ils entendent.


Photo : Stephen Douglas

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/a-cautionary-tale.html


Randall Smith enseigne la théologie à l’Université Saint Thomas à Houston, Texas.