Des propositions des candidats aux primaires de la droite, on pourrait retenir celle de François Fillon à propos de l’enseignement de l’histoire, à cause de sa portée philosophique et civique. C’est, en effet, un enjeu essentiel que celui-là. Notre rapport au passé commande beaucoup de choses. Certes, l’histoire n’est pas notre code, comme l’affirmait un protagoniste de la Révolution française, elle n’en est pas moins la médiation qui nous permet de nous situer dans le temps et de participer à l’héritage que nos prédécesseurs nous ont légué. Toutes les grandes idéologies modernes se sont réclamées de l’analyse qu’un Hegel, un Marx, un Auguste Comte, tout autant que les penseurs réactionnaires et libéraux ont accomplie du développement de la civilisation qui nous a amenés au stade d’évolution qui est le nôtre, en anticipant à partir de là présent et avenir. Il est vrai que ces grands systèmes sont entrés en crise à la fin du XXe siècle et que l’idée que nous nous faisons de l’histoire s’en est trouvée sérieusement affectée.
C’est la pensée critique et la déconstruction qui ont pris le dessus, délégitimant ces systèmes de sens qui structuraient notre conception du monde, de nos appartenances, et aussi de notre existence nationale. Jules Michelet, ce grand historien romantique, avait littéralement fondé ce qu’on pourrait appeler sans malice l’imaginaire de la IIIe République, celui que l’école de Jules Ferry allait se charger de transmettre aux jeunes générations. Cet imaginaire s’est trouvé bousculé toutes ces dernières décennies sous l’effet de plusieurs facteurs. L’histoire, comme discipline universitaire, s’est complexifiée, elle a tendu à faire renaître les oubliés du passé, les anonymes aux marges du récit de l’épopée centrale. L’attention aux mœurs, aux mentalités a joué souvent au détriment du roman national, alors qu’en même temps les revendications communautaires mettaient en procès diverses séquences comme l’esclavage ou la colonisation, et du coup l’européocentrisme.
François Fillon voudrait que trois académiciens travaillent à reconstituer un récit national, qui puisse redonner aux jeunes Français la fierté de leur identité. Il est immédiatement contré par les historiens critiques qui s’indignent. Mais ces historiens critiques possèdent-ils un brevet d’exclusivité qui les autoriserait à régenter nos esprits ? N’ont-ils pour projet que de tout mettre en doute, de tout mettre en pièces ? N’ont-ils pas leurs propres convictions, leurs propres vénérations ? Que veulent-ils mettre dans la tête des jeunes ? La faculté critique ne conduit pas unilatéralement à la démolition, elle doit servir à l’affinement et à l’équilibre du jugement, qui fait place aussi à l’admiration et à la reconnaissance.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 31 août 2016.