On entend parler ici où là d’une « génération Bataclan », à cause de la tragédie qui s’est produite dans ce lien dont le nom est déjà devenu un symbole. Nos confrères de Libération ont déjà beaucoup travaillé autour de ce symbole. Plus largement, le quartier où ont été perpétrés les attentats de vendredi est désigné à l’enseigne d’une zone urbaine « à la fois bourgeoise, progressiste et cosmopolite ». Les terroristes auraient semé la mort à dessein dans cette zone festive, où les jeunes, surtout, prennent du plaisir ensemble. Mais Libération va plus loin encore, en faisant du quartier agressé une sorte de modèle de convivialité, de mélange social et même de métissage accompli. Les assassins auraient donc choisi délibérément de porter la mort à ce modèle et à ce que Claude Bartolone a appelé aussi « un art de vivre ».
Il y a sans doute du vrai dans ce petit tableau sociologique, où le quotidien héritier de certains rêves soixante-huitards pense peut-être, avec quelque illusion, projeter ce qui lui reste d’utopie. Mais en même temps, on ne saurait trop souligner à quel point le tableau est restreint et comment il trahit la sociologie réelle de la jeunesse française d’aujourd’hui. Un excellent papier d’Alexandre Devecchio dans Le Figaro élargit considérablement les perspectives, en rappelant que les jeunes djihadistes venaient des banlieues, anciennement rouges, où l’intégration des populations immigrées est en panne et où l’extrémisme se nourrit de terribles frustrations. Il s’attarde aussi sur la jeunesse de la France dite périphérique, celle qui ressent d’autres frustrations. Cette partie-là de la jeunesse vote massivement Front national. Il faut donc se persuader que nous sommes en face d’une jeunesse fracturée par un grand malaise culturel et social.
La situation de guerre qui est la nôtre pourra-t-elle favoriser une réconciliation dans le cadre d’une mobilisation générale ? On peut et on doit le souhaiter. Mais cet espoir est encore fragile. Il faudra du temps, de la persévérance et de grands projets mobilisateurs pour donner un élan à une jeunesse réconciliée qui se reconnaîtrait dans un avenir commun. Il faudra dépasser la sociologie du Bataclan, pour ne retenir du symbole que la solidarité avec des victimes, qui sont nos parents, nos proches et de toute façon nos frères et sœurs par la compassion.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 18 novembre 2015.