Une fausse interprétation de la moralité - France Catholique
Edit Template
La justice de Dieu
Edit Template

Une fausse interprétation de la moralité

Copier le lien

Dans une conférence que j’ai récemment écoutée en différé, un biologiste évolutionniste distingué posait la question : « qu’est-ce que le Bien ? ». En développant sa réponse, il distinguait deux visions : l’absolutiste et la relativiste. La vision absolutiste affirme que le Bien est une « formule » ou « règle » qui peut être appliquée toujours et partout, quelles que soient les circonstances où nous nous trouvons. La vision relativiste dit simplement qu’il n’y a pas une règle « taille unique passe partout » du Bien pour l’humanité. Le Bien est simplement le nom que nous donnons à un panel de nos préférences.

J’ai trouvé intéressant que, en établissant l’histoire de l’éthique de cette façon, le biologiste évolutionniste ait laissé de côté une troisième vision du Bien, celle, en fait, qui a dominé la culture occidentale pendant quelque 1 500 ans, jusqu’aux Lumières, et qui, jusqu’à ce jour, est le cœur de la théologie morale de l’Église. Dans cette vision, le Bien est l’exercice de la vertu, c’est-à-dire d’une personnalité parfaite.

C’est intéressant qu’il l’ait laissée de côté, mais guère surprenant, vu qu’il est un biologiste évolutionniste farouchement laïciste. Ce qui est plus surprenant, c’est que beaucoup de mes coreligionnaires catholiques réduisent la question du Bien à la même dichotomie ou à peu près. Selon eux, le Bien, c’est suivre la loi morale, et le relativisme, c’est l’opposé.

Comme dans toutes les opinions erronées, il y a un noyau de vérité dans cette vision des choses. Après tout, il y a réellement des règles dans la compréhension catholique d’une vie bonne. Nous avons les préceptes de la loi naturelle, tout comme les commandements de la loi positive divine. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas rien. Mais dans la tradition des vertus, la vie bonne passe toujours avant le simple respect de règles.

Faisons une analogie sportive. Qu’est-ce que l’excellence dans le football ? Est-ce que cela consiste uniquement à suivre ce qui est écrit dans le livre des règles officielles ? Quand un joueur de classe internationale tel que Léo Messi exhibe son excellence sur le terrain, elle est toujours plus, bien plus que ce que l’on trouve dans le livre de règles. Suivre les règles est essentiel à son succès, bien évidemment. Une grave infraction le sortirait du jeu. Mais son excellence, sa vertu de joueur de foot, vient de sa faculté habituelle de créer, d’improviser, d’éblouir, de jouer audacieusement comme aucun autre joueur ne l’a encore fait.

Notre mot « moralité » vient d’un mot latin signifiant « habitudes ou manières ». Cette étymologie est instructive. Elle nous rappelle que la moralité n’est pas essentiellement s’assurer qu’on est du bon côté de la loi morale. Elle nous remet plutôt en mémoire que la moralité et la vie bonne consistent essentiellement à former notre personnalité par des habitudes et des pratiques appropriées.

Les questions de moralité sont avant tout des questions de formation. Formation de l’esprit dans la vérité, et en retour, structuration par l’esprit dans cette vérité des passions et et de la volonté. Une telle formation de la personnalité permet une sorte d’improvisation et d’éblouissance analogue à celle qui nous émerveille dans un sportif accompli. Dans sa forme suprême, c’est la singularité de la sainteté. Le jeune homme riche avait gardé toute sa vie les commandements, alors le Christ lui demande d’aller au-delà des commandements : de vendre tout ce qu’il a, d’en donner l’argent aux pauvres, puis de le suivre.

Et parce que la moralité est au cœur de la formation de la personnalité, notre principale préoccupation morale devrait être d’être toujours présent là où cette formation se fait – ou échoue à se faire. En conséquence, les habitudes et les manières du foyer, où prend place la formation la plus longue et la plus fondamentale de la personnalité devraient toujours tenir la place prééminente dans la hiérarchie de nos préoccupations morales.

Et réellement, tous les efforts de la Nouvelle Évangélisation dépendent de l’accent mis sur les habitudes et les manières. Si nous voulons vraiment surmonter au profit du Christ la culture laïque ambiante, nous devons comprendre que cet effort requerra bien davantage qu’un argument abstrait à propos de lois morales. Il est impératif d’invoquer des arguments conceptuels en défense du mariage traditionnel, de la liberté religieuse, du caractère sacré de la vie humaine de la conception à la mort naturelle et des autres thèmes similaires. Personne ne demande d’abandonner les tribunaux et autres recoins de l’espace public. Mais il est rare que ces sortes d’arguments suffisent à eux seuls à transformer les esprits chez ceux que la formation de la personnalité n’a pas prédisposés à les recevoir.

Alors, ce que nous avons à faire, c’est aller aux sources de la formation morale. Nous devons trouver les méthodes pour parler, non pas seulement aux esprits de ceux qui ont une vision très différente de la nôtre, mais aussi, ce qui est bien plus important, à leurs cœurs. Nous devons apprendre le « langage » de leur atmosphère morale afin de pouvoir leur parler avec des mots qu’ils puissent comprendre.

Ce type d’effort va nous conduire vers ce que le pape François appelle « les périphéries », où évoluent des biologistes évolutionnistes farouchement laïcistes et leurs alliés. Mais c’est ce que nous demande la Nouvelle Évangélisation. C’est une bonne part de la poursuite du Bien que nous devons mener dans notre monde contemporain toujours plus coupé de Dieu.


Daniel McInerny est un philosophe et un auteur de romans, tant pour les enfants que pour les adultes.

Illustration : « Saint Paul prêchant devant l’Aréopage » par Léonard Porter, 2010

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/03/05/on-mistaking-morality/