Il est désespérant de voir que la plupart des catholiques ne connaissent pas le droit canon. Je pense que ce n’est une nouvelle pour personne, encore moins pour les canonistes. La plupart d’entre nous est rarement confronté au droit canon dans notre vie quotidienne, du moins pas de façon évidente. Alors que la plupart des catholiques sont bien conscients de notre obligation d’assister à la messe dominicale, de jeûner certains jours ou de soutenir matériellement l’Église selon nos capacités, peu d’entre nous pensent à ces obligations en termes canoniques : ce ne sont que des choses que nous, catholiques, sommes censé faire.
Dans la plupart des cas, un catholique peut mener une bonne et sainte vie sans jamais se heurter sérieusement au système juridique de l’Église. C’est sûrement ainsi que cela doit être.
Ces dernières années, la gestion, et la mauvaise gestion, par l’Église des affaires d’abus sexuels commis par des clercs ont fait l’objet d’un examen particulièrement minutieux. Pratiquement tous les aspects de la manière dont l’Église traite ces affaires sont régis par le droit canonique. Pourtant, très peu de fidèles ont une idée claire de ce à quoi ressemble réellement le processus canonique de traitement des allégations d’abus. Il n’y a pas d’équivalent en droit canonique de « New York, police judiciaire » pour dresser ce tableau pour nous.
Ainsi, alors que nous, non-experts, pouvons insister sur une plus grande implication des laïcs ou réprimander des évêques qui n’auraient pas traiter les problèmes avec des prêtres ayant commis des abus (souvent avec de très bonnes raisons), nous le faisons généralement en ignorant le système juridique dans lequel tout cela se déroule. La plupart d’entre nous ne savent pas ou peu comment ces affaires sont traitées, de la manière dont les allégations sont reçues, à la manière dont elles font l’objet d’enquêtes et à la manière dont elles sont traitées par Rome. Rien de tout cela n’est secret, mais peu d’entre nous obtiennent une explication claire et détaillée du fonctionnement du processus.
La semaine dernière, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) a publié un vademecum (un guide) destiné à aider les évêques, et ceux dont le travail est d’assister l’évêque, à mieux comprendre les normes canoniques régissant les affaires impliquant des abus sexuels de clercs sur des mineurs.
Le document ne change pas la façon dont l’Église traite ces cas, mais il expose en détail comment de tels cas doivent être traités et clarifie plusieurs questions qui pourraient prêter à confusion, en raison des changements récents du droit canonique, en raison des complications posées par chevauchement avec diverses juridictions civiles, etc…
Une heureuse conséquence de ceci est que nous avons maintenant un guide, écrit pour des non-experts (ou du moins des non-canonistes), qui fournit une explication simplifiée de la façon dont Rome s’attend à ce que le reste de l’Église traite les allégations d’abus sexuels du clergé.
Qu’un tel manuel soit nécessaire est, d’une part, troublant car il suggère une confusion continue, ou du moins un besoin de conseils sérieux, de la part de ceux qui sont chargés de traiter de tels cas dans l’Église. D’un autre côté, la plupart des évêques ne sont pas des avocats (des avocats civils ou des avocats canonistes). Ils ont besoin d’aide pour corriger ces cas. Le vademecum montre que la CDF prend ces cas au sérieux et veut s’assurer que le processus est aussi efficace et uniforme que possible. Selon les termes du CDF, « une pratique standardisée contribuera à une meilleure administration de la justice ».
Il y a plusieurs parties du vademecum qui ressortent. La façon dont l’Église aborde la pornographie juvénile, par exemple, s’est considérablement améliorée au cours des dix dernières années. Les nouveaux dossiers vont désormais directement au CDF ; et pas seulement les affaires impliquant la production de pornographie juvénile, mais aussi « l’acquisition, la possession (même temporaire) ou la distribution par un clerc d’images pornographiques de mineurs ». Par le passé, ces délits étaient traités par d’autres dicastères ou au niveau local.
Le document explique en détail comment un rapport d’abus doit être traité. Il y a un thème récurrent qui est l’équilibre entre la sollicitude pour la victime présumée et la procédure régulière pour l’accusé. Les rapports doivent être pris au sérieux, quelle qu’en soit la source et même incomplets, mais une accusation n’est pas une démonstration de culpabilité et l’accusé a le droit de garder une bonne réputation. Il y a aussi des rappels clairs aux évêques que le fait de ne pas s’acquitter de leurs devoirs avec soin (en ne faisant pas enquête sur les allégations avec diligence, par exemple) pourrait constituer des crimes canoniques pour lesquels les évêques eux-mêmes pourraient faire face à des poursuites.
Un point qui a attiré une certaine attention dans la presse est que le document ordonne, mais n’oblige pas, les évêques à rapporter les allégations aux autorités civiles : « Même dans les cas où il n’y a pas d’obligation légale explicite de le faire, les autorités ecclésiastiques devraient faire un signalement aux autorités civiles compétentes si cela est jugé nécessaire pour protéger la personne impliquée ou d’autres mineurs contre le danger de nouveaux actes criminels. »
Aux États-Unis, les évêques sont déjà tenus de signaler les allégations aux autorités civiles, mais il existe d’autres juridictions et circonstances dans lesquelles le signalement obligatoire pourrait ne pas être prudent, des endroits où le régime est hostile à l’Église ou où il y a une corruption généralisée dans le pays dans le système juridique, par exemple.
Le vademecum, espérons-le, sera d’une grande aide pour ceux pour qui il a été écrit et pour l’Église. Il y a sans aucun doute des évêques dans le monde qui en sont heureux. C’est un document qui apporte une clarté bienvenue même une sorte de transparence, à un processus important qui a longtemps été, du moins pour les non-experts, à peu près aussi clair que la boue.
Bien sûr, cet aperçu un peu plus clair ne fait pas du lecteur un expert. Comme le souligne délicatement le vademecum, l’Église a encore besoin de vrais experts :
Ce Vademecum ne prétend pas se substituer à la formation des praticiens du droit canonique, notamment en matière pénale et procédurale. Seule une connaissance approfondie de la loi et de ses buts peut rendre le service dû à la vérité et à la justice, qui sont particulièrement recherchées en matière de graviora delicta [crimes plus graves] en raison des blessures profondes qu’elles infligent à la communion ecclésiale.
Pour aller plus loin :
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