Il semble parfois que J.R.R. Tolkien était un écrivain qui a publié un millier de livres et maintenant autant de films. (J’exagère bien sûr.) Et pour commencer, je dois dire que je ne suis pas un fan.
Bien sûr, j’aime la vie de Tolkien – l’idée qu’on se fait de lui : le jeune érudit qui devient soldat puis professeur d’université à Oxford, et plus tard le créateur de ce qui, au-delà de son œuvre savante de linguiste et de philologue, peut sûrement être appelé une contribution inégalée à la littérature fantastique. Inégalée, à l’exception peut-être de celle de son ami et collègue d’Oxford C.S. Lewis.
Les livres de Lewis sont plus accessibles – pour moi – et cela inclut ses œuvres savantes. « L’allégorie de l’amour : une étude de la tradition médiévale » est l’un de mes livres favoris. Et mes fils, quand ils étaient jeunes, ont vraiment aimé « Les chroniques de Narnia ».
J’ai essayé de lire « Le seigneur des anneaux » de Tolkien, et j’ai échoué. Mon problème avec Tolkien est similaire à mes démêlés avec Tolstoï : la prolixité. Et je n’ai jamais trouvé l’équivalent chez Tolkien de « Anna Karénine », un livre meilleur et plus court que le fastidieux « Guerre et Paix ».
L’œuvre des écrivains susnommés a été excellemment traitée à l’écran, bien que les versions de la trilogie du « Seigneur des anneaux » et de la trilogie du « Hobbit » par Peter Jackson aient surpassé les séries sur « Les chroniques de Narnia » en terme de critique et de succès financier. Encore une fois, je trouve les films sur « Narnia » (dirigés par Andrew Adamson et Michael Apted) plus distrayants.
Et arrive la biographie « Tolkien », par le directeur finlandais Dome Karukoski – conçue pour faire ce que, selon ses propres et simples mots, Tolkien disait n’avoir jamais voulu qu’il soit fait : des films sur ses romans fantastiques en général, et, spécifiquement, toute tentative pour expliquer d’où il sortait la Terre du Milieu. « Le livre » a-t-il dit au Télégraph de Londres en 1968 (faisant référence au « Seigneur des anneaux » paru en 1954) « n’est à partir de rien d’autre que lui-même. Il n’a pas d’intentions allégorique, d’actualité, morale, religieuse ou politique. Il ne fait pas référence à nos guerres modernes ou à la bombe atomique et mon scélérat n’est pas Hitler. »
Mais le nouveau film n’est pas tout à fait de cet avis, bien que ce ne soit pas l’arrière-plan de la Deuxième Guerre Mondiale qui nous ait donné la Terre du Milieu mais la Première Guerre Mondiale, au cours de laquelle le jeune étudiant marié de 23 ans de Exeter College a servi, commençant lors de la deuxième année du conflit. Il a été déployé brièvement en France mais il était trop malade pour combattre et a été rapatrié en Angleterre après quatre mois de tranchées.
Le film débute avec les visions du jeune Tolkien de chevaliers et de dragons et les combats d’enfant avec des épées en bois. Sa mère lui enseigne le latin, ainsi qu’à son jeune frère, ce qui éveille son intérêt pour les langues.
Finalement, il « lirait » l’histoire à Osford avant de basculer vers la philologie sous la houlette du professeur Joseph Wright (joué par Derek Jacobi). Tolkien serait un jour capable de parler de nombreuses langues et d’en lire trente-cinq – de toutes les langues anglaises jusqu’à l’espéranto. C’était un génie.
Si seulement cela se faisait jour à travers le script et la performance de Nicholas Hoult. Son Tolkien est sérieux et intelligent et il y a quelques courtes scènes où il parle telle ou telle langue, y compris celles que Tolkien a inventées. Cela dit, Hoult est un bon acteur et sa performance devient vivante chaque fois qu’il partage une scène avec Lily Collins dans le rôle de la femme qui deviendra son épouse. Mais quelque chose manque… bien que mademoiselle Collins soit, comme ils disent, rayonnante en Edith Bratt Tolkien.
Mais, encore et encore, monsieur Karukoski interrompt son récit d’amour et d’étude avec des retours en arrière sur la guerre, insistant (plaidant!) pour que nous comprenions que c’est dans le creuset de la bataille que l’art de Tolkien est né. Aucun doute qu’il ait été grandement affecté par la guerre, mais il y eut d’autres influences aussi fortes ou plus fortes.
Comme le catalogue de l’an passé « Maker of Middle-Earth » le signale à partir des papiers et de l’art de Tolkien à la bibliothèque d’Oxford, Tolkien « voulait plus que tout rendre l’Angleterre de nouveau catholique et ce faisant réintroduire la beauté, la pureté et l’amour dans son pays. » Et je pense qu’il est approprié de suggérer que le catholicisme ainsi que les mythes et la littérature de l’Angleterre médiévale (et du reste de l’Europe du Nord) sont davantage au cœur de l’œuvre de Tolkien que ses expériences durant la Première Guerre Mondiale.
Mais vous n’apprendrez rien de l’influence catholique dans les films de Peter Jackson, ce qui est compréhensible puisqu’ils ont pour sujet la Terre du Milieu, non plus que dans la biographie de monsieur Karukoski, ce qui n’a pas de sens. « Tolkien » ne montre pas certaines des interactions du jeune homme avec le prêtre Francis Xavier Morgan, qui était son tuteur, qui a été un adjoint de John Henry Newman à l’Oratoire de Birmingham et auprès de qui Tolkien a grandi durant neuf années. Le film montre l’opposition initiale du père Morgan à l’idylle de Tolkien avec Edith Bratt, qui était protestante – une union que le prêtre a finalement bénie – mais ne se préoccupe pas de noter que Edith s’est convertie au catholicisme.
Les spectateurs chrétiens ayant des connaissances sur le sujet seront déçus, je le soupçonne, du manque d’attention donnée par monsieur Karukoski (et les scénaristes David Gleeson et Stephen Beresford) à la foi chrétienne de Tolkien, et il est difficile de ne pas imaginer que Karukoski et consorts voient le catholicisme comme un handicap commercial.
Il n’est pas nécessaire de partir du principe que John Henry Newman était le modèle de Gandalf ou de s’évertuer par ailleurs à connecter la vie catholique de Tolkien avec chaque aspect de son récit ultérieur, mais il est étrange – même bizarre – de systématiquement ignorer cette connexion dans le film. Le passage de Tolkien dans l’équipe de rugby universitaire reçoit davantage d’attention que sa foi religieuse.
Et l’érudition de Tolkien est également minimisée, bien qu’il y ait évidemment des allusions. Monsieur Karukoski aurait dû passer au crible « Little Man Tate » de Jodie Foster, « A Beautiful Mind » de Ron Howard ou « The Imitation Game » de Morton Tyldum pour avoir des indices sur la façon dont un génie peut être efficacement décrit à l’écran.
Mais je dois quand même ajouter que « Tolkien » est un film plaisant, bien joué, avec quelques charmantes scènes d’Oxford et de l’Angleterre rurale – les « shire » que Tolkien aimait tant. Colm Meaney et monsieur Jacobi sont crédibles en père Morgan et professeur Wright. Patrick Gibson, Tom Glynn-Carney et tout spécialement Anthony Boyle sont excellents en compagnons d’espièglerie, d’étude, de rugby et de guerre : la T.C.B.S. (Tea Club and Barrovian Society = la société club de thé et dialecte barrovien) – une camaraderie précoce et influente.
Le film est interdit aux moins de 13 ans en raisons de scènes de guerre répétées et perturbantes.
Brad Miner est directeur de publication de « The Catholic Thing », membre de l’Institut Foi & Raison et secrétaire du bureau de l’Aide à l’Eglise en Détresse USA. C’est un ancien rédacteur de National Review.
Illustration : l’affiche du film
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/13/tolkien-a-review/