La théologie du corps et de l’amour humain, que Karol Wojtyla a élaborée dès les jeunes années de son sacerdoce, doit-elle être revue et mise en question ? C’est l’opinion de certains, non dépourvus d’une certaine acrimonie qui interroge sur leurs intentions profondes.
Il est parfaitement admissible de porter un jugement critique sur une pensée, alors même qu’elle a exploré des voies nouvelles dans le cadre de la Tradition chrétienne. Tradition toujours ouverte à des développements organiques, conformément aux démonstrations du cardinal Newman. Il n’est aucun penseur ou théologien qui ne relève de la critique. On sait à quel point saint Augustin a donné lieu à des déviations qui avaient pour point de départ des propositions problématiques de sa part. Lui-même n’avait-il pas procédé à des rétractations ? Même saint Thomas d’Aquin, pourtant docteur privilégié de l’Église, peut être pris en défaut, par exemple à propos de l’Immaculée Conception. Mais cela n’empêche pas que pour l’essentiel Augustin et Thomas consonent avec la foi de l’Église.
On pourrait en dire autant de Karol Wojtyla, notamment au travers de sa synthèse originale sur l’amour humain. Les voies qu’il a explorées doivent être interrogées par des chercheurs de disciplines diverses. Sans doute l’intéressé, devenu successeur de Pierre, a-t-il transposé en enseignement pastoral autorisé ce qui relevait jusqu’alors d’un philosophe et d’un théologien parmi d’autres. Mais un enseignement de type magistériel ne donne pas forcément le dernier mot de tout. Le dogme lui-même ouvre plus à la réflexion qu’à l’interdit.
Malveillance
Tout cela pour dire que l’héritage du pape polonais constitue un bien précieux dont il s’agit de tirer le meilleur, non sans s’interroger sur des questions en suspens et d’autres domaines d’investigation. Est-ce l’attitude de tous ceux qui, aujourd’hui, entendent prendre leur distance avec son enseignement ? Prétendre, par exemple, que la crise des abus sexuels dans l’Église pourrait trouver son origine dans une déviation du wojtylisme, en ajoutant que certains abuseurs étaient des proches de Jean-Paul II, relève plus que de l’ambiguïté : c’est foncièrement de la malveillance.
Par ailleurs, certains, récusant carrément une doctrine, n’hésitent pas à l’accuser de tous les maux : apologie du patriarcat, conception d’une Église très identitaire, idéalisation du mariage chrétien. Ce qu’on propose à l’encontre de ce que l’on rejette relève le plus souvent du climat idéologique actuel, dont on a le plus grand mal à se distinguer. Faire appel aux ressources des sciences humaines et sociales, c’est se donner des références de remplacement qui peuvent impressionner mais sont des plus problématiques. La prédominance contemporaine d’une sociologie dans le sillage d’un Pierre Bourdieu est sensible dans les analyses qui ont accompagné le rapport sur les abus sexuels dans l’Église.
Il y a d’autres courants en sociologie ou en anthropologie dont on n’entend guère parler dans ces milieux. Nous rappelions ici même l’apport considérable d’un Pierre Legendre, mais il est complètement ignoré de ceux qui, non contents de s’en prendre à Jean-Paul II, dont ils aimeraient discréditer tout le pontificat, se complaisent dans les méandres de la théorie du gender et de l’indifférenciation sexuelle.