Le film Vaincre ou mourir, qui fait revivre la figure héroïque de Charette (cf. France Catholique n° 3798 du 27 janvier) provoque des remous et même de la colère de la part de tous ceux qui n’admettent pas cette vision d’un passé qui a du mal à passer. J’observe pour ma part une étonnante régression intellectuelle du côté de ceux qui n’admettent pas qu’on puisse porter atteinte à une sorte de représentation canonique de la Révolution. C’est comme si on avait oublié qu’une certaine doxa avait été remise en question, mettant à mal toute une tradition historiographique.
On a notamment oublié que ce tournant s’était accompli avec l’aide de l’hebdomadaire le plus emblématique de l’intelligentsia de gauche, Le Nouvel Observateur, qui avec des rédacteurs aussi brillants que Jean Daniel, Jacques Julliard, François Furet, sans oublier Maurice Clavel, s’emploierait à ébranler toute une mythologie qui avait servi de fondement à la République, notamment la IIIe.
La pente « terroriste »
Ce tournant s’inscrivait dans la suite de 1968, alors qu’un gauchisme virulent développait les objectifs les plus extrémistes, proches parfois du terrorisme. C’est ce risque terroriste qui allait amener la contestation de la religiosité révolutionnaire.
Raymond Aron avait précédé cette élucidation en analysant ce qu’il appelait « l’opium des intellectuels ». Mais la fin du XXe siècle a été marquée, avec le phénomène Soljenitsyne, par le détachement à l’égard de toute une idéologie à laquelle un Sartre avait attaché son nom, alors qu’un Camus s’y opposait de toutes ses forces. Or, il est patent que ce revirement intellectuel s’est trouvé associé à une relecture approfondie de la Révolution française par une nouvelle génération d’historiens. C’est en 1978 que François Furet publie son essai Penser la Révolution française, qui s’inscrit en opposition directe avec l’historiographie classique qui dominait l’université depuis le XIXe siècle, dans le sillage de Jules Michelet, chantre inspiré de l’épopée de 1789.
Le déni de l’histoire
Furet va s’opposer à toutes les tentatives d’explications de la Terreur de 1793-1794 par les circonstances ou le simple déchaînement des mauvais instincts populaires. Le processus qui conduit aux extrêmes est présent dès les premiers épisodes de la Révolution. Car il s’agit d’un projet global de régénération de l’humanité, qui n’admet aucune limite. Quant à la cruauté de la répression contre la révolte vendéenne, elle n’est pas due à la seule situation locale, car elle est caractéristique d’une conduite générale, celle qui provoque la même répression violente de l’insurrection lyonnaise.
Il est frappant d’observer comment la réplique au film sur le terrain historique se fait dans le déni des apports de l’historiographie contemporaine, en renouant avec la rhétorique de l’historiographie dite classique. C’est dire à quel point, loin d’éclairer les esprits, elle enferme le débat dans une posture polémique régressive, en dépit de ses prétentions progressistes.