« L’homme est un animal politique. » Cette célèbre maxime signifie que, finalement, pour être tel qu’il est, l’homme devait bâtir de son propre chef un cadre où il pourrait agir personnellement, et s’accomplir. Sans persuasion, il pourrait avoir besoin d’être soumis à des contraintes. Tout comme, étant libre, il pourrait adopter un comportement le détournant de sa condition présente.
Une ”Constitution” est à l’image des qualités des citoyens, ou de leur médiocrité. Certaines constitutions ont entretenu la définition des vertus pratiquées par les citoyens. La question de la ”meilleure” constitution se pose, avec cette définition, dans la pratique de diverses constitutions.
Platon déclarait jadis que les mots, tout spécialement les écrits, étaient flexibles. On pouvait les entendre de bien des manières. Les mots ont un sens, mais, une fois écrits, il est bien difficile de les figer. ”Garder” une constitution relève justement de la difficulté de saisir le sens des mots écrits.
Écrite ou non, une Constitution n’est guère différente en son essence. Les Constitutions non écrites consistaient dans le respect par le peuple des décisions antérieures, de la législation et des décrets. Il se pliait à ce qui était précédemment admis.
La Constitution des États-Unis est unique, document écrit conforme à toutes les remarques de Platon. Tout en connaissant et pratiquant la loi anglaise (orale et écrite), les colons, par leur rupture avec l’Angleterre, furent innovateurs : ils écrivirent une constitution. Elle fut ainsi l’intermédiaire entre les affaires quotidiennes du gouvernement et les principes philosophiques selon lesquels ce gouvernement devait établir ses règles et lois.
Les rédacteurs de la Constitution ont bâti une structure de gouvernement. Le but en était d’éviter toute règle anormale et toute tyrannie, ainsi que de rendre applicable toute règle conforme au bien de tous. Sans négliger les questions étrangères, elle avait pour but essentiel d’éviter les conflits internes et la dictature. Elle était conçue pour définir et appliquer ce qui est juste.
Contrôles et équilibres, fédéralisme, précision et séparation des pouvoirs, en formaient la base. Tout était mené calmement afin qu’ordre et règles soient empreints de sagesse. Les articles étaient pleins de prudence. Une loi à laquelle le peuple était soumis devait être nettement exprimée puis votée, pas à pas, selon la constitution.
Une Constitution est, par nature, une promesse. Elle doit rendre l’avenir juste et sensé. Elle consiste en un contrat entre générations. Une constitution n’est applicable que si ses termes sont clairs et intelligibles, invariants. Les mots s’appliquent à des choses et des concepts définis. Mais leur sens originel en fait une obligation. La théorie d’une ”Constitution vivante” fut lancée en grande partie pour éviter que les termes de la Constitution aboutissent à l’incompréhension ou à la contradiction.
Dans cet esprit, une controverse est née : les États-Unis sont-ils issus d’une ”création moderne” ou du développement d’idées classiques et moyenâgeuses ? Si c’est une création moderne, ils ont pour sources Hobbes [philosophe anglais 1588 – 1679], Locke [philosophe anglais 1632 – 1704] et Hume [philosophe, historien écossais 1711 – 1776] et autres. C’est un contrat volontariste garantissant à chacun l’accès à tout ce qui assure sa sécurité et son bien-être. S’il s’agit d’un concept classique ou moyenâgeux, il a le sens d’une loi assurant le bien commun conforme à la loi naturelle transcendante. Il sent bien que les limites assignées au gouvernement le sont non seulement par une Constitution, mais aussi par sa nature propre.
Telle que rédigée, la Constitution des États-Unis n’a pas été conçue pour régenter le bien des citoyens. Elle a plutôt pour objectif de les laisser vivre leur vie autant que possible. Peu de choses sont précisément inscrites parmi les prérogatives du gouvernement. Au mieux il doit laisser autant que possible à chacun l’exercice de son intelligence, de ses intentions, de son libre arbitre. Certaines interdictions sont notifiées au gouvernement, même s’il n’y a pas contradiction avec la lettre de la Constitution. C’est pourquoi la tradition de la loi naturelle doit de tout temps être placée au-dessus de toute constitution.
Deux ou trois niveaux de gouvernement étaient établis dans le système américain. Partout le célèbre adage ”le meilleur gouvernement est celui qui dirige le moins” était de bon conseil. La Constitution Fédérale tenait ses pouvoirs d’une énumération précise. Les colons, au vu des Articles de la Confédération, voyaient les dangers d’un gouvernement peu contraignant. Mais ils avaient le souvenir cuisant de la domination britannique dont le gouvernement gouvernait beaucoup trop.
Dans le système de régulation, certains officiels désignés devaient pouvoir dire et agir si la Constitution était violée, si l’action d’un organisme gouvernemental n’était pas convenable. Certaines questions — importantes — devaient être soumises au peuple. Tout cet ensemble reposait sur l’intégrité de ces officiels et, mais oui, sur la signification permanente des mots portant sur la ”conformité” ou la ”non conformité” à la Constitution.
La violence du choc suite à la récente sentence du Juge Roberts sur la loi ”Obamacare” est due au fait que les termes de la constitution ne sont pas contraignants pour cet officiel essentiellement responsable de l’application de la-dite Constitution. À mon avis, Hobbes approuverait cette sentence.
James V. Schall, S.J. est professeur à l’Université de Georgetown.
Image : La signature de la Constitution des États-Unis – H.C. Christy, 1940.
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