Parmi les nombreux versets du chapitre 3 de la Genèse relatant la chute de l’homme, on pourrait bien tirer de l’un d’eux assez de livres pour garnir beaucoup de rayons, selon le cardinal John Henry Newman [1801 – 1890, converti au catholicisme en 1845], une si riche présentation mythique de la calamité originelle, une attitude désastreuse de refus de Dieu qui nous marque tous.
Mon propos est de souligner un aspect de la nature du péché vu comme inclus dans le noyau du mal, et en conséquence les contradictions liées à la condition de l’homme avant la rédemption.
L’auteur sacré prend soin de nous préciser qu’Adam et Eve étaient nus, et n’en n’avaient pas honte. On ferait bien de se rappeler le mythe grec du prétendu Âge d’or, lorsque Cronos (Saturne) dirigeait le monde, avant que son fils Zeus ne prenne le pouvoir.
En ce temps les hommes vivaient en paix, mais aussi dans une rusticité barbare — une forme pas tout-à-fait humaine d’innocence, ou plutôt d’innocuité, une vie passée à se nourrir de baies et à boire l’eau des ruisseaux. Ils n’étaient ni saints, ni semblables à Dieu, ni nus.
Mais dès le début tels sont Adam et Eve. Ils ont été créés à l’image de Dieu; Adam a employé son pouvoir donné par Dieu pour donner un nom aux animaux; et il a fait éclater la louange en découvrant les qualités de la femme Eve que Dieu lui avait donnée.
Eve n’est pas la Pandore envoyée à l’humanité par un Zeus malveillant. Adam et Eve sont nus, car s’appartenant l’un à l’autre en toute franchise, en toute liberté, n’ayant rien à se cacher mutuellement, ni à Dieu, car comme le déclare Adam, « c’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair.»
Dans l’Écriture, c’est Dieu qui ordonne en premier. Il parla, et ils furent créés, dit le Psalmiste. Mais Adam est le premier à prophétiser, acte de nature divine.
Ainsi, la nudité n’est pas un symbole d’inconscience. Un jeu de mots remarquable dans le texte hébreu est de grande importance. Adam et Eve étaient nus, « erom », mais le serpent était le plus subtil des animaux de la création, et son nom « erom » ne s’en distinguait que par une différence gutturale dans la voyelle initiale.
Milton semble avoir saisi l’astuce et en a tiré un des motifs centraux dans son « Paradise Lost » (Paradis perdu). Ainsi, Satan, en ce jour fatidique de la tentation, apparaît sous la forme de l’animal le plus rusé, « et dans ses anneaux tortueux / se cache, portant un sombre dessein. »
Satan se cache toujours de Dieu et des anges fidèles, cachant aussi ses complices les démons, et Adam et Eve; de même son projet de rébellion contre le Fils est marqué du sceau du secret et de la duplicité, comme il le murmure à son compagnon Belzébuth: « en dire davantage en ce lieu / n’est pas parler en sécurité. »
Et Adam et Eve, après avoir mangé du fruit défendu et s’être unis avec la fureur du premier acte licencieux, se découvrent non pas « dans la majestueuse nudité innocente » comme avant, mais couverts de confusion et de honte.
Ils se levèrent
Comme éveillés, se voyant l’un l’autre
Découvrant de leurs yeux désormais ouverts, de leurs pensées,
Combien assombries: l’innocence, qui, comme un voile
Les avait préservés de connaître le mal, était partie,
La juste confiance, le droit chemin naturel,
Et l’honneur dont ils étaient dotés, les laissaient nus,
À la honte coupable; le vêtement qui les couvrait désormais
Les laissait encore plus découverts.
Ces derniers mots concluant une ligne écourtée, par leur étonnante inversion d’image, sont parmi les plus tristes de la littérature.
Tristes car véridiques, comme veut le montrer l’auteur sacré. Il nous faut saisir par ces jeux de mots la révélation sur la nudité. Le péché se révèle par le besoin de se cacher, ou, en d’autres termes, de faire « comme si », de camoufler le néant en gloire.
Dans leur nudité, Adam et Eve sont « l’un à l’autre », libres de parler avec Dieu comme entre amis. C’est non pas sous-humain, mais parfaitement humain, et donc, divin. Mais ce mauvais tour, la subtile tromperie du serpent a pour but de gâcher cette nudité.
Son mensonge à propos du fruit défendu est un mensonge sur Dieu et sur l’amour que Dieu a répandu sur le couple humain — sur les seigneurs du paradis. « Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal.»
Il traite Dieu de menteur cachottier: comme si Adam et Eve ne jouissaient pas déjà de la connaissance du bien en tant que tel. Ce qui inclut le bien du mariage lui-même. Car, après tout, si Adam et Eve doivent suivre le commandement « croissez et multipliez », et s’ils doivent se partager l’un l’autre, os des os, chair de la chair, alors ils doivent se « connaître » l’un l’autre dans le sens profond du verbe Hébreu, si souvent et stupidement défiguré par les mauvaises traductions modernes.
Après le péché, Adam et Eve ont besoin de cette pathétique feuille de vigne pour cacher leur nudité, et lorsque Dieu vient vers eux dans le jardin, ils continuent à se cacher. En d’autres termes, ils ne sont plus « erom », nus, mais « erom », trompeurs, subtils — et insensés.
Qui donc peut se cacher de Dieu? Dieu sonde le fond des cœurs et répand la lumière dans les recoins du cœur où nous nous recroquevillons, tentant d’échapper à Son regard — et au nôtre.
Adam et Eve se cachent de « la face du Seigneur », autre verset stupidement traduit pour élider le mot Hébreu signifiant « face »: car faire face à quelqu’un, c’est le regarder ouvertement. Le Psalmiste crie alors « Quand me trouverai-je face à Dieu?» Et Saint Paul attend le temps où nous aurons la connaissance, nous qui sommes déjà connus, car nous verrons alors Dieu « en face ».
Alors le mensonge originel sera effacé à jamais.
NDT: traductions des citations bibliques tirées de la Bible de Jérusalem