Jetons un œil sur l’histoire de Noé, et aussi sur l’affaire de Sodome.
Ces deux récits sont intimement liés, et méritent qu’on les lise de concert. On y rencontre deux hommes repérés pour leur droiture, Noé et Abraham. Ils sont, d’une certaine façon, à l’écart de leurs contemporains.
Abraham ne s’installe pas à Sodome; c’est réservé à son neveu Lot, homme de vertu médiocre. Les deux récits débutent par l’exposé de fautes. « les fils de Dieu trouvèrent que les filles des hommes leur convenaient et ils prirent pour femmes toutes celles qu’il leur plut.» (Gen. 6:2). Je suis persuadé qu’il ne s’agit pas ici de simple mariage, mais d’une sorte de débauche générale: le mot Hébreu pour « épouse » est le même que pour « femme ». Le côté pervers de la débauche est cependant pire qu’une simple sensualité. Il révèle un dérangement de l’âme : « Yahvé vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée.» (Gen. 6:5).
Venons-en à Sodome, l’imagination des hommes a atteint un comble contre nature: « Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit? Amène-les-nous pour que nous en abusions.» (Gen. 19:5). Il faut retenir que Lot propose à ces hommes non pas un serviteur masculin, dont il avait sans doute bon nombre, mais « ses deux filles qui sont encore vierges.» (Gen. 19:8). Il invoque alors, assez timidement, leur honte, plutôt que leurs préférences honteuses.
Dans les deux récits, la destruction vient d’en-haut. Pour Noé, c’est la pluie — la pluie qui, généralement, est citée dans les Écritures comme une bénédiction. Jésus nous dit que notre Père des Cieux envoie la pluie aux justes comme aux pécheurs. Dans le cas de Noé, la pluie serait un retour au chaos, effaçant toutes les limites: le firmament qui sépare les eaux d’en-haut des eaux d’ici-bas.
Mais l’histoire nous rappelle le souci de Dieu plein de tendresse pour les animaux sous la forme de l’arche; une évocation encore plus suggestive du don de l’eau et de la bénédiction divine se présente avec la colombe rapportant un rameau d’olivier.
Allons à Sodome, on n’y voit aucun animal, et ce qui tombe du ciel, ce n’est pas la pluie, c’est le feu. Dante voit dans le feu un symbole de la majesté de Dieu, directement offensé par le blasphème du vice sexuel contre nature. Sodome est l’inverse d’un holocauste: le feu rend inhabitable le lieu où aucun véritable sacrifice n’a été offert à Dieu.
Dieu fait une promesse dans les deux récits. Pour Noé, c’est une promesse irrévocable; pour Sodome, la promesse est soumise à condition; et pourtant la miséricorde divine apparaît encore plus profondément dans ce dernier récit. Après la pluie, Dieu envoie l’arc-en-ciel , garantie qu’il n’enverra jamais d’autre déluge pour détruire toute vie. Mais il n’y a pas d’arc-en-ciel à Sodome. Au lieu de celà, Abraham agit en intercesseur. C’est la première mention d’intercession dans les Écritures, qui, d’évidence, reçoit l’agrément de Dieu: c’est l’effet de la grâce divine. Abraham ne plaide pas ici pour le pécheur — le pardon n’a pas encore été définitivement révélé, bien que suggéré par le geste de Dieu revêtant Adam et Êve. Il plaide pour le juste.
Peut-être y a-t-il cinquante? Dieu accepte de ne pas détruire Sodome pour cinquante. À quoi Abraham, patron des joueurs de poker, pousse vers Dieu ses enchères négatives à dix. Bon, il n’y a pas dix justes à Sodome, mais le Seigneur accorde la vie sauve au neveu d’Abraham, neveu à-peu-près juste, et à sa famille à la réputation douteuse.
Les deux récits s’achèvent sur une suggestion de morale. Noé fait pousser la vigne et se prend une cuite . Il semble assez peu fautif. Il se couche sous la tente et « se dénude » (Gen. 10:21), ce qui peut facilement arriver quand un individu n’est vêtu que d’une tunique. Son plus jeune fils, Cham, voit la nudité de son père et en parle à ses frères, avec évidemment un ton de moquerie et d’impiété.
Ils réagissent en mettant un vêtement sur leurs épaules et entrent à reculons sous la tente pour ne pas voir Noé en fâcheuse posture, et gentiment couvrent la dignité de leur père. Noé les bénit, et maudit Cham.
Mais l’histoire d’Abraham, comme précédemment, est plus complexe. Nous assistons à la même séparation entre Abraham et Lot. Sodome étant détruite, Lot ne revient pas vers Abraham, son intercesseur méconnu. Lot a peut-être un peu de Madame Lot dans la tête; il se retire dans une grotte voisine avec ses deux filles. Leur vie à Sodome a traumatisé leurs âmes. Elles enivrent leur père pour commettre l’inceste avec lui, afin de lui donner une descendance. De ces unions sont issus les maudits Ammonites et Moabites. Ce n’est pas la bonne méthode pour donner une grande nation en descendance à Abraham.
Ces récits nous enseignent que les chemins de Dieu ne sont pas ceux de l’homme, car un chemin peut sembler bon au cœur de l’homme et le mener à sa perte. Celui qui veut sauver sa vie doit la perdre, nous dit Jésus, et c’est bon pour Noé obéissant à Dieu et se confiant à un simple navire de bois — comme Moïse bébé flotta sur le Nil dans son panier d’osier, le mot Hébreu reste le même.
Il s’applique à Abraham, consacrant toute sa vie, jour après jour, à Dieu; pas en navigant comme Noé sur les flots pendant quelques mois, mais en devenant le pélerin primitif, louant Dieu et ne cherchant le bien que de Lui.
Et nous aboutissons à l’harmonie profonde de l’amour et de la vie. Ce qui nous rapproche des trois anges visitant Abraham. À suivre, . . . bientôt.
Anthony Esolen.
NDT: citations bibliques tirées de l’édition en Français de la Bible de Jérusalem.
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Tableau :
La malédiction de Cham
par Ivan Stepanovitch Ksenofontov (env. 1850)
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-key-that-fits-the-lock-part-7.html