Une clé pour la serrure (page neuf) - France Catholique
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La justice de Dieu
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Une clé pour la serrure (page neuf)

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Et maintenant allons avec Abraham vers les monts de Moriyya. « Quiconque, Israélite ou étranger — dit le Seigneur à Moïse — livre de ses fils à Molek devra mourir.» (Lv 20:2).

Laissons à l’illustre Milton la description du culte épouvantable de Molek
(Moloch), et du sort des enfants :

Voilà Moloch, horrible roi barbouillé du sang

Du sacrifice humain, et des larmes des parents,

Le vacarme des tambours et tambourins

Couvre les hurlements des enfants jetés au feu

Pour sa sinistre idole.

Selon certains, l’idole de Moloch pourrait être un un énorme four avec un feu d’enfer. Les bébés « passant par le feu de Moloch » y étaient grillés, perdant toute leur apparence.

Selon d’autres interprétations, on déposait l’enfant sur les bras tendus de la statue, d’où il finissait en glissant par tomber dans le brasier. C’était un rite phénicien pour la fertilité, confirmé par la découverte d’une vaste nécropole près de Carthage — un amas d’ossements humains, d’ossements humains de toute petite taille.

On peut être surpris en apprenant combien la leçon était difficile à faire entrer dans la tête des rois d’Israël. Manassé, par exemple, semble n’avoir jamais rencontré une croyance sans s’y intéresser. Il vénérait le soleil, la lune, les étoiles, comme les Chaldéens, consultait des astrologues et des devins, et « il fit passer son fils par le feu.» (2 R 21:6). On n’est pas certain que c’était le propre fils de Manassé. Il aurait pu suivre la pratique des riches phéniciens qui « adoptaient » pour de l’argent l’enfant d’un miséreux, le brûlaient pour Moloch, afin de s’attirer la récompense divine et faire plaisir à tout le monde.

Nous qui déchiquetons des bébés « pour le confort » devrions y réfléchir. L’épouvantable culte résultait d’une totale incompréhension. Le raisonnement d’alors était simple: si nous offrons le fruit de notre fertilité, la fertilité nous sera donnée en retour.

La prostitution au temple était une forme de culte; une autre forme était le sacrifice d’enfants. Ce n’est pas ainsi que fonctionne la nature, comme nous le savons de nos jours — nous qui de toute façon persévérons dans le mal. Le plus important n’est pas de savoir comment Dieu agit. C’est ce qu’Abraham apprendra ce jour terrible en montant sur la montagne avec son fils Isaac.

Les païens se comportaient selon la formule « do ut des » (je donne, pour que tu donnes). Les rapports entre le croyant et son dieu sont comparables à ceux d’un petit commerçant avec le caïd qui le « protège » en le rackettant.
Une anecdote tirée de l’Iliade: un vieillard, Chrisès, va voir le Général grec Agamemnon, lui demandant de relâcher sa fille. En échange, il promet des prières à Apollon, dont il est prêtre, le dieu archer « qui touche sa cible de loin » — une menace voilée de Chrisès sous forme d’une citation banale. Agamemnon refuse, et jette Chrisès hors du camp; le vieillard rappelle à Apollon les multiples sacrifices qu’il lui a offerts au cours de nombreuses années, et demande que Smintheos, dieu des souris, frappe les Grecs de la peste. Apollon le lui doit bien et exauce sa prière.

Ainsi, lorsque Dieu ordonne à Abraham de prendre son fils unique et de le lui sacrifier, le vieillard, hélas, a sans doute été consterné, mais n’a certes pas été surpris. C’est le genre de geste de n’importe quel dieu.

Avant de poursuivre, j’entends les protestations du public: « Dieu n’a-t-il pas promis ses dons à celui qui lui obéit? N’était-ce pas convenu? Où est la différence?» Simplement toute la différence imaginable — la différence entre entre une négociation et l’amour.

« Tout le jour j’aime ta loi !

tout le jour je la médite.» (Ps 119:97).

Au-delà des biens terrestres que nous pouvons goûter librement, longue vie, nombreux enfants, estime des sages, l’âme pieuse attend de séjourner avec Dieu pour l’éternité :

« Comme languit une biche

après les eaux vives,

ainsi languit mon âme

vers toi mon Dieu.» (Ps 42 :1).

Recevoir la loi divine, c’est partager Sa bonté et Sa vie:

« Il révèle à Jacob sa parole,

ses lois et jugements à Israël ;

pas un peuple qu’il ait ainsi traité,

pas un qui ait connu ses jugements.» (Ps 147:19-20)

Voilà pourquoi Jésus, citant le Deutéronome ((6:5) et le Lévitique (19:18) déclare que les plus grandes lois, la deuxième comme la première, sont: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit : voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. À ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes.» (Mt 22:37-40).

C’est un peu comme si Dieu avait ordonné: « Vis! Respire du souffle de l’amour! Rejette tes mauvaises pensées et laisse-moi mettre en toi un cœur pur.» C’est, nous le voyons, un commandement d’une tout autre nature. La vie ne s’achète pas avec l’amour: elle est ce que l’amour donne tout naturellement.

J’avoue que la leçon est difficile à assimiler. Ce fut une rude épreuve pour en persuader Abraham. L’homme actuel n’est pas plus avancé, sauf à l’aide de la grâce, qu’Abraham pour la saisir. Les adorateurs de Moloch croyaient acquérir une « bonne » existence au prix du sang. Selon nous, on peut accomplir une bonne vie et la mener grâce à de bons outils et de bons choix politiques.

Toutes les formes d’utilitarisme ont des relents de fumée de sacrifice à Moloch, avec les petits calculs de pertes et profits avec l’homme de la rue que l’on négligera selon la convenance des petits arrangements.
Ainsi, Abraham chemine sur la montagne avec son fils, son fils unique, son fils bien-aimé, Isaac. Le nom du garçon évoque la joie éclatante avec laquelle Abraham et Sarah reçurent la prophétie de sa conception. Mais l’heure n’est plus aux éclats de rire en cet affreux matin. Et pourtant, Abraham a la foi.

À suivre.

Anthony Esolen

NDT: citations bibliques tirées de la Bible de Jérusalem (édition en Français).

Image : Abraham prépare le sacrifice d’Isaac – William Blake (vers 1783)

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-key-that-fits-the-lock-part-nine.html