Parler d’Abraham amène inévitablement à parler de la foi, cette nouvelle vertu proposée au monde par les anciens Hébreux. Jetons un coup d’œil à l’harmonie qui réside entre la foi et la structure de la création — de la réalité humaine.
Un exemple: Ulysse se trouve sur l’ile de la déesse Calypso. Il ne songe qu’à son retour dans son foyer, mais en définitive ce sont les dieux qui décident: Athena a demandé à Zeus d’envoyer Hermès dire à Calypso qu’il doit partir. Celle-ci aime Ulysse — il partage sa couche chaque nuit — mais elle se soumet. Alors Ulysse taille et rabote des planches, forge des clous, ébranche un tronc pour en faire un mât, bref, se prépare. Calypso lui donne des conseils pour le voyage, ce qu’Ulysse prend du bout des lèvres, se méfiant des caprices des dieux.
Un autre exemple: Galahad, Perceval et Bors sont devant un vaisseau. Un avertissement est placardé dessus: ce navire est l’Arche de la Foi et de la véritable croyance, nul ne peut monter à bord s’il n’a une foi parfaite. Le navire n’a pas de barre, il emmènera les bons chevaliers à leur destinée. Leur quête: percevoir les mystères du Saint Graal, la présence du Christ dans le Saint Sacrement, un avant-goût du festin de noces de l’Agneau. Ces mystères — et l’auteur cite Saint Paul — résident dans ce que l’œil ne voit pas, l’oreille n’entend pas, dans ce que l’esprit de l’homme ne peut concevoir.
Je ne cherche pas à sous-estimer l’exemple profondément humain d’Ulysse, dépensant énergie et habileté en une dure épreuve, afin de retourner à son île d’Ithaque, à son peuple souvent rebelle, et à sa fidèle épouse, et connaître le fils qu’il n’a encore jamais vu. Mais il n’est nullement question de foi. Ulysse ne prend jamais pour argent comptant la parole d’Athéna. Athéna sait mentir. Elle l’a montré dans la plaine devant Troie, poussant Hector à se faire massacrer par Achille. Les dieux Grecs se mêlent des affaires des hommes; et bien que la volonté de Zeus soit de faire régner la justice, il n’est ni omniscient, ni tout-puissant. La relation d’Ulysse avec les dieux est donc comparable à la relation qu’un homme peut avoir avec ses amis politiques ou avec ses opposants. Rien à voir avec les sentiments.
Au premier abord, l’anecdote des bons chevaliers près du vaisseau est étrange, loin des réalités de chaque jour. Et pourtant, à regarder de plus près, on constate qu’il n’en est rien — principalement parce qu’il n’y a rien d’ordinaire dans la vie quotidienne des hommes. Les chevaliers sont des amis: pas simplement des alliés, des compagnons de voyage. Leur dévouement réciproque procède de leur dévouement envers Dieu. Ils brûlent de monter à bord, et se réjouissent d’être ensemble. Ils ignorent où le navire va les emmener, mais celà fait partie de l’aventure. L’amour ne pose pas de conditions préalables. Il ne le peut pas. Se dévouer à une personne, ou au Dieu qui nous appelle à Le connaître et à L’aimer, c’est s’embarquer pour une quête avec un but précis, mais qui n’aura pas de fin. C’est ce qui échappe à la vision pourtant large d’Homère.
De retour à Ithaque, Ulysse demandera des comptes à son épouse Pénelope et à son fils Télémaque. Il les met à l’épreuve pour voir leur loyauté et leur habileté. Ils passent l’épreuve et se montrent dignes de leurs liens avec Ulysse.
Si je puis dire, les profonds sanglots du père et de son fils, couvrant le cri des mouettes sur l’eau, et la tendre étreinte amoureuse du mari et de sa femme sont une évocation d’un monde d’amour qui réduit à une toute petite échelle l’Odyssée d’Ulysse à travers les pays des Cyclopes et des Lotophages.
Mais ce n’est qu’Ithaque, et le mieux qu’on puisse leur souhaiter, c’est de conserver le statu quo ante. Ce n’est pas le cas de Galahad et de ses compagnons. Ils sont engagés dans une aventure insurpassable.
Bien, si les hommes ne sont pas libres, pas d’aventure. S’ils sont libres, mais sans destination où se rendre, pas d’aventure. Le séjour du Très-Haut — et non pas Ithaque — est le but, ce qui soude foi et amour dans toutes leurs dimensions.
Et lorsque au pied de l’autel on dit à sa fiancée: « je serai tout à toi, quoi qu’il advienne.» on monte à bord d’un navire semblable à l’Arche de Foi, et on part naviguer sur les flots inconnus de l’amour.
Sans le don total de soi qu’implique la foi, on ne peut aimer vraiment; sans amour on ne peut se connaître vraiment l’un l’autre, ni connaître Dieu. Ulysse connaît bien des aspects d’Athéna, mais il ne s’immerge pas dans la personnalité d’Athéna.
Par contre, Abraham ne sait rien de Dieu — Dieu n’est pas une créature, avec tout ce que celà comporte. Mais Abraham est appelé à une relation personnelle avec Dieu.
Ainsi, quand Dieu fait appel à la foi, Il ne pose pas une condition pour accorder Sa bénédiction. La foi, cette « chose indispensable », se trouve dans la nature propre de la personne, au fond de la personne.
Si je dis à ma promise « d’accord pour t’épouser dès que j’aurai vérifié avec ma « machine à prédictions » comment çà se passera.» alors j’aurai rompu notre relation dès le début. Bien sûr, il ne s’agit pas d’amour véritable; j’ignore ce qu’est l’amour. Je n’ai pas de foi.
Si ma promise me disait: « écoute, j’ai une « machine à prédictions », voilà les merveilles qu’elle promet si nous nous marions » ce serait comme si elle voulait m’acheter, tout en me refusant de tenter l’aventure de l’amour. Elle accepterait mon manque de foi.
La foi est ce coup au cœur qui vous embarque dans l’aventure de l’amour divin. Ulysse est tour à tour un explorateur et un touriste. Abraham est en permanence un pélerin.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-key-that-fits-the-lock-part-eight.html