« Je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable qui est sur le bord de la mer, et ta postérité conquerra la porte de ses ennemis. Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre » (Gn, 22;17-18).
Yves Congar remarque dans son livre Vaste monde, ma paroisse que la Bible joue l’ambiguïté quand il s’agit pour les humains de quantifier leurs réussites. Voyez le roi David qui prit l’idée de dénombrer son peuple. Le chef de ses armées Joab — loyal, clairvoyant, impitoyable, et franc — n’approuva pas cette idée : « pourquoi Monseigneur le roi aurait-il ce désir? » (2S, 24;3). Néanmoins Joab exécuta les ordres. « Après cela le cœur de David battit d’avoir recensé le peuple et David dit à Yahvé : « c’est un grand péché que j’ai commis ! maintenant, Yahvé, veuille pardonner cette faute à ton serviteur ». » (2S, 24;10)
Le prophète Gad s’approcha de David et lui donna à choisir entre trois nombres : trois années de famine, trois mois de fuite devant ses ennemis, ou trois jours de peste dans le pays. David ne veut pas choisir. Il comprend son erreur. Ainsi Dieu envoie la punition la plus courte, « le fléau frappa le peuple et soixante-dix mille hommes du peuple moururent depuis Dan jusqu’à Bersabée. » (2S, 24;15).
Le bon pasteur laisse les quatre-vingt-dix-neuf brebis pour chercher celle qui s’est perdue. Hors du domaine de l’Ancien et du Nouveau Testament cette brebis n’est pas seulement abandonnée à son sort. Il arrive souvent qu’elle soit délibérément sacrifiée en otage pour le bien des quatre-vingt-dix-neuf autres. C’est le thème de l’épouvantable histoire païenne par Shirley Jackson, La loterie, où les habitants d’un village agricole Américain tirent au sort chaque année celui qui sera lapidé afin d’avoir la plus belle récolte de maïs.
Le mal n’est pas seulement dans le moyen dérisoire et superstitieux choisi par les villageois, mais aussi dans toute la tyrannie utilitaire des chiffres. Une personne, selon Yves Congar, est en soi « un tout », auquel nul ne peut se substituer, tout au contraire de la définition par Arthur Koestler de l’individu dans une société communiste : « la masse d’un million de personnes divisée par un million ». Chaque être humain fait partie d’une infinité. Vouloir les évaluer selon leur nombre, c’est les réduire à de simples objets : un stère de bois, un sac de pommes de terre.
Aussi, quand Jésus parle du champ qui produit une récolte trente, soixante fois, ou même au centuple, ou bien dans l’Apocalypse lorsque l’Apôtre voit 12000 saints de chacune des douze tribus d’Israël, ils parlent de ce qui est bien au-delà des nombres : il y en a trop pour qu’on puisse les compter, et on ne peut dénombrer ce qui est, ainsi, grandiose, et trop glorieux. 1
Les bénédictions de Dieu sont données en « bonne mesure, tassée, secouée, débordante » (Lc, 6;38). « C’est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques. » (Ps, 133;2). Elles sont un « fleuve de vie, limpide comme du cristal qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau ». (Ap, 22;1).
Les Saints ne sont pas des éléments d’un assemblage. Que s’est-il passé lorsque, selon la légende, Saint François et Saint Dominique se sont rencontrés et embrassés? Un Saint plus un Saint, ce n’est pas égal à deux Saints. C’est la gloire, et une lueur du paradis à venir.
Alors, que signifient les paroles de Dieu à Abraham « Je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel,» ? Remarquez le mot essentiel, « multipliez ». « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la;» dit Dieu à Adam et Êve en les bénissant (Gn 1;28). La multiplication pour Abraham représente une création au sein et hors de la création, fructification particulière parmi les fruits de la terre et au-delà.
Abraham le croyant est père d’une multitude. Non seulement parce que les Hébreux seront nombreux. Yves Congar nous dit: « pour Dieu, Abraham, unique dans un monde déjà peuplé était le peuple qui constituerait le monde des croyants… une semence pouvant fertiliser le champ du monde.»
Nous sommes trop familiers des Écritures, nous, fils d’Abraham de par le monde. La prophétie s’est accomplie abondamment. En vérité les descendants d’Abraham se sont montrés, par la chair et par l’esprit (car tous les Chrétiens, comme l’a déclaré Pie XI, sont sémites par l’esprit), aussi nombreux que les étoiles du ciel. Et ce n’est pas peu dire que le dire. Car malgré les péchés qui pourrissent nos esprits et chargent nos corps, comme s’il n’y avait que des loups et pas de Bon Pasteur, un fait historique est certain: par Abraham « se béniront tous les clans de la terre ». (Gn 12;3).
Abraham a péché, et il est mort, comme c’est le destin de tous. Mais « Abraham [votre père] exulta à la pensée qu’il verrait mon jour — dit Jésus — il l’a vu et fut dans la joie.» (Jn 8;56). Nous cherchons une foi telle que celle d’Abraham, mais non pas une foi en Abraham. Nous avons la foi en Jésus-Christ, premier fruit de la résurrection, le Messie, qui rassemble toutes les nations dans la gloire du Seigneur.
Nous devrions donc comprendre les paroles d’adieu de Jésus à ses apôtres comme l’accomplissement de la bénédiction donnée à Abraham : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde. » (Mt, 28;20).
Si le monde voulait se comprendre, il se tournerait vers « Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.» (1TM, 2;4). Car en Lui réside la compréhension de l’infinie diversité de l’individu auprès de qui les étoiles du ciel sont moins que le grain de sable sur le rivage ou qu’un clin d’œil devant l’éternité.
Anthony Esolen
NDT: : texte français des citations bibliques tiré de la Bible de Jérusalem.
Retable : L’apparition du Christ à ses Apôtres – Duccio di Buoninsegna, 1311
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-key-that-fits-the-lock-part-twelve.html