Le tweet, émis par un éminent observateur de la culture conservateur, était caustique :
« Kenneth Branagh a réalisé en 1989 Henry V, un des plus grand films jamais réalisé. En 2015, c’est Cendrillon. Déclin de la civilisation occidentale résumé en un tweet. »
Wired a aussi exprimé son inquiétude. Il a publié une lettre ouverte intitulée : « cher Kenneth Branagh, vous pouvez faire mieux que Cendrillon. » Il a estimé que le film était « une histoire d’amour bien ficelée », mais « complètement inutile ».
Ces critiques de la nouvelle adaptation cinématographique plutôt réussie du conte de Cendrillon, réalisée par Branagh, ont tort. Le film est absolument nécessaire et, loin d’illustrer le déclin de la civilisation occidentale, il nous rappelle ce qui mérite d’être préservé dans cette civilisation. A dessein ou non, Cendrillon est un portrait profondément chrétien, ni ironique ni cynique, des vertus morales requises pour pérenniser une idylle.
Je me demande si la mise en parallèle par le critique du magnifique Henry V et du récent Cendrillon n’était pas intentionnelle pour souligner la superficialité du conte de fée comme genre : c’est-à-dire, Shakespeare, c’est pour les adultes, les contes de fée des balivernes pour enfants. Si c’est cela, c’est une grave erreur. Le conte de fée est un des genres littéraires les plus importants et les plus durablement populaires, à la fois pour les adultes et pour les enfants, parce que les contes de fée narrent des aventures se déroulant dans « le monde doré », un monde où il faut se battre pour atteindre l’accomplissement de l’innocence.
Pa « monde doré », je ne sous-entends pas un monde idyllique. Les contes de fée transportent souvent leurs protagonistes dans d’autres pays et même d’autres dimensions du temps et de l’espace, mais ces nouveaux territoires ne sont pas des endroits de paix, mais de péril. Les sorcières, les monstres et les méchants de tous poils abondent.
Alors pourquoi appelé-je de tels endroits des « mondes dorés » ? Parce que ce sont des places, des arènes, où le bien doit affronter l’opportunité de surmonter le mal. Comme G.K. Chesterton l’a dit de façon éblouissante : « les contes de fée ne donnent pas à l’enfant sa première idée du diable : ils lui donnent sa première idée claire que la défaite du diable est possible. Le bébé a connu intimement le dragon dès qu’il a eu un imaginaire. Ce que lui donne le conte de fée, c’est un Saint Georges pour tuer le dragon. »
Dans le monde doré, l’innocence n’est pas une simple faculté donnée aux protagonistes ; c’est un achèvement moral qui demande de prendre des risques importants. Donc, par innocence, je ne veux pas dire la pureté morale et la naïveté du tout petit enfant. Je parle d’une perfection morale gagnée uniquement en déployant de grandes responsabilités morales : courage, espoir et amour. De telles qualités morales peuvent être déployées par des enfants à partir d’un certain âge, mais peuvent être aussi acquises par des adultes, même après une longue période d’errance.
Il y a quelque chose d’essentiellement humain dans les aventures dans le monde doré qui explique le pouvoir pérenne des contes de fée tout comme la structure de conte de fée d’ouvrages que nous ne considérons absolument pas comme des contes de fée. Qu’est, par exemple, la quête épique de Dante à travers le Ciel, le Purgatoire et l’Enfer, si ce n’est une aventure dans un monde extrêmement périlleux dans lequel son innocence morale, sa perfection dans les vertus humaines et surnaturelles font la différence ?
La Divine Comédie de Dante nous aide à voir que la vie humaine a une structure de conte de fée, que nous sommes faits pour un au-delà paradisiaque que nous ne pouvons atteindre que par le sacrifice. Les contes de fée et les histoires de héros de bande dessinée sont d’inspiration fondamentalement chrétienne.
Dans un récent article, le père Robert Barron éclaire l’allégorie chrétienne présente dans le Cendrillon de Branagh. L’enfance merveilleuse d’Ella est d’abord brisée par la mort de sa mère, puis par le remariage de son père avec une femme meurtrie et sans cœur, dotée par un premier mariage de deux filles mièvres. Quand son père meurt subitement, Ella est laissée à la merci de sa marâtre. Elle est réduite en esclavage, couchant dans les cendres du foyer. Le père Barron observe que « Cendrillon, dont la beauté et la vertu sont obscurcies par des cendres, est une allégorie de la déchéance de l’humanité. »
Et cependant, Cendrillon reste fidèle à la recommandation de sa mère mourante : « sois courageuse et gentille ». Un truisme, à n’en pas douter, mais qui n’en perd pas sa valeur pour autant. Dans son remarquable essai « Défense des histoires terrifiantes à un penny », Chesterton fait l’éloge de la littérature populaire à base de truismes. De telles œuvres populaires, dit-il, « expriment les truismes optimistes et héroïques sur lesquels est bâtie la civilisation ; car il est clair qu’à moins d’être construite sur des truismes, la civilisation n’est pas construite du tout. De toute évidence, il ne peut pas y avoir de sécurité dans une société dans laquelle une remarque du procureur comme quoi tuer est mal serait regardée comme une épigramme originale et fulgurante. »
De toute évidence également, il n’y a pas de santé morale dans une société qui pense que « sois courageux et gentil » est quelque chose de « totalement inutile ». Cendrillon répond aux cruels traitements de sa marâtre avec une humilité, une générosité peu communes, et même avec miséricorde et des réponses vertueuses qui lui permettent de faire un monde doré d’un grenier poussiéreux rempli de souris.
Une autre caractéristique clef de l’allégorie chrétienne dans Cendrillon est l’arrivée du prince Charmant, le fils du roi et une image de l’Incarnation. Comme le note le père Barron, le prince représente le Fiancé, désireux de s’unir à sa Fiancée, l’Église. Leur mariage est une image de notre union sacramentelle avec le Bien-Aimé, l’avant-goût de notre union ultime dans le Ciel.
Mon avis dans tout cela n’est pas que Branagh soit forcément conscient de l’allégorie chrétienne présente dans son film, mais ayant choisi de ne pas déconstruire le conte de Cendrillon, ayant choisi de l’aborder de la manière traditionnelle dont il a été écrit au 17e siècle par Charles Perrault, il a permis à l’inspiration chrétienne originelle du conte de rayonner à travers son film.
Pour cette raison, je refuse de faire la grimace devant la décision de Branagh de raconter un simple conte de fée dans lequel la vertu est testée et récompensée par un mariage. Passer deux heures charmantes à contempler une comédie si romantiquement civilisatrice est une grâce.
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Daniel McInerny est un philosophe et un auteur de fiction,tant pour les enfants que pour les adultes.
Illustration : Cendrillon (Lily James) danse avec le prince Charmant (Richard Madden).
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/03/28/a-civilizing-cinderella/