Le pèlerinage de Chartres, une balise pour la jeunesse - France Catholique
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Le pèlerinage de Chartres, une balise pour la jeunesse

© Notre-Dame de Chrétienté

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Le pèlerinage de Chartres, une balise pour la jeunesse

NOTRE SÉRIE SUR CHARTRES (1/7). De tous âges et de toutes conditions, les pèlerins se pressent depuis des siècles sur les plaines de Beauce. Mais depuis le XXe siècle, c’est auprès de la jeunesse que l’appel de Chartres résonne singulièrement.
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Article initialement publié en mai 2022.

Depuis deux ans, la plaine de la Beauce, aux alentours de Chartres, était étonnamment calme. Aucune colonne de pèlerins, aucune marée de drapeaux n’était venue fouler les routes serpentant dans « l’océan des blés » chanté par Charles Péguy. Mais avec la levée des restrictions sanitaires, « l’immense chape » de la Beauce s’apprête à retrouver les innombrables marcheurs, reprenant une tradition lancée par le poète en 1912, puis pérennisée à partir des années 1930, notamment grâce à l’action de Mgr Maxime Charles.

Vingt ans de moyenne d’âge

Dans une France où l’on ne cesse d’insister sur la chute de la pratique religieuse, la vue d’un cortège comme celui de Notre-Dame de Chrétienté, qui fête cette année ses 40 ans, relève presque de l’uchronie : près de 14 000 pèlerins, d’une moyenne d’âge de 20 ans. Avec 110 kilomètres parcourus en trois jours, reliant l’église Saint-Sulpice à Paris – en remplacement du traditionnel départ depuis Notre-Dame, en travaux – à la cathédrale de Chartres, en plein week-end de Pentecôte, ce pèlerinage chartrain, très physique, est le plus fréquenté. « Marcher est certes sympathique, mais ce n’est pas la raison pour laquelle on se lance dans un tel pèlerinage », balaye d’emblée Sixtine, étudiante en anglais de 17 ans, qui s’apprête à faire le trajet pour la troisième fois. « Car l’excitation du départ s’estompe au fur et à mesure que cela se complique physiquement. En revanche, plus l’on marche et plus l’on prie et l’on se confesse, si bien qu’on a l’impression de marcher non pas vers la sainteté, car nous n’y sommes pas encore, mais vers sa propre sanctification. »

« La marche nous rappelle véritablement une réalité fondamentale de l’Église : nous ne sommes pas qu’une âme, mais bien une âme et un corps, développe Joseph, étudiant en philosophie de 23 ans, responsable de chapitre depuis 2018. Quand nous remettons le rythme de nos pas à la Sainte Vierge ou au Bon Dieu via le chapelet, c’est un don entier de notre personne. »

Le succès de la marche vers Chartres auprès d’une partie de la jeunesse catholique est sans doute à chercher dans la double exigence physique et spirituelle qui résonne particulièrement dans le cœur des jeunes adultes : « À cet âge, le jeune est comme dans un goulot d’étranglement de sablier, analyse le Père Jacques Enjalbert, aumônier régional adjoint de la Mission étudiante, dont le pèlerinage des Rameaux est l’héritier de celui de Mgr Charles. Il est avant l’heure des grands choix de vie mais déjà, sa vie intellectuelle, affective et relationnelle, se développe, tout en étant travaillé par des questionnements existentiels. » Ainsi, la marche vers Chartres apparaîtrait pour ces jeunes, sous tension face à ce changement de vie, comme un temps d’arrêt salutaire. « Le pèlerinage de Chartres est à mes yeux comme une sorte de grande nuit d’adoration : la temporalité n’est plus la même et l’on se retrouve dans un besoin fondamental, qui est la rencontre avec Dieu », continue l’aumônier.

Les grâces de la confession

Sur la route de Chartres, en particulier lors du pèlerinage de Pentecôte, la rencontre avec Dieu – que le pèlerin soit enfant, adolescent ou adulte – a lieu le plus souvent discrètement, en marche ou à genoux, lorsque les prêtres, ayant passé leur étole violette autour du cou, dispensent le sacrement de pénitence et de réconciliation. « Nous sommes témoins, en tant que prêtres, de grâces particulières qui découlent de ces confessions » affirme l’abbé Alexis Garnier, aumônier général de Notre-Dame de Chrétienté, qui précise qu’être prêtre pèlerin, c’est confesser tous les jours « de très tôt à très tard ». Sans jamais rentrer dans le détail des confessions, le prêtre évoque des conversions « en nombre », similaires à celle que connut saint Charles de Foucauld auprès de l’abbé Huvelin. « Nous avons 100 kilomètres pour nous confesser et cela fait partie de nos priorités », reconnaît Hugues, pèlerin de 35 ans. Pour d’autres, comme Sixtine, certaines confessions font même partie des plus beaux souvenirs de marche. « Je me souviens d’une en particulier où, après avoir reçu l’absolution et faisant face à une montée, je me suis mise à courir pour la gravir », glisse-t-elle dans un sourire.

Avec 10 % de croissance en moyenne chaque année, le pèlerinage organisé par Notre-Dame de Chrétienté, exclusivement attaché à la messe tridentine, a peu à peu supplanté numériquement le traditionnel pèlerinage annuel des étudiants d’Île-de-France, que les diocèses de la région réfléchissent désormais à organiser un an sur deux, au risque de laisser orphelins dans ces diocèses les étudiants pour qui la marche vers Chartres représentait une bouée spirituelle attendue avec impatience.

Pèlerins d’horizons variés

« Ce pèlerinage est un signe de vitalité du monde traditionnel », souligne Yves Chiron, auteur d’Histoire des traditionalistes (Taillandier). « Mais il faut noter que se joignent aux fidèles des pèlerins qui ne sont pas forcément des pratiquants réguliers, qui peuvent venir de milieux non traditionnels, mais qui se retrouvent avec bonheur et profit la pratique du pèlerinage : marcher ensemble, vers un lieu sacré, en recherchant un profit spirituel. »

Ainsi, 35 % des pèlerins de Pentecôte ne suivent pas de manière exclusive la messe traditionnelle le reste de l’année. « Durant cette marche, il n’y a plus d’histoire de clochers, de paroisses… Tout le monde est réuni autour de la messe quotidienne », explique l’abbé Garnier, qui affirme vouloir dépasser « le choc esthétique » ou le « décalage déconcertant » que peut représenter la découverte de cette liturgie par les néophytes, en déployant « une pédagogie sur l’Eucharistie, tout en rappelant que nous ne sommes pas propriétaires, mais dépositaires de cette liturgie ». « Une partie des jeunes viennent de sensibilités différentes et profitent du pèlerinage pour découvrir ce rite, avant de retourner dans leur paroisse habituelle », confirme Joseph. L’étudiant en philosophie parle même de « brassage » entre jeunes fidèles, parfois perplexes face au motu proprio Traditionis custodes de juillet 2021, qui a restreint l’usage du rite tridentin.

Accueillant jadis des colonnes variées, le pèlerinage de Chartres est désormais brocardé par certains comme l’apanage d’une jeunesse traditionaliste ayant davantage à coeur une revendication identitaire qu’une réelle démarche de foi. « La jeunesse qui vient marcher apprécie de pouvoir témoigner de sa foi en beauté et en vérité, dans un monde où l’on a parfois honte d’être chrétien, à cause des scandales », corrige Hugues. « Il y a dans le cortège – et parmi tous les âges –, une soif d’absolu, qui aspire à une France chrétienne qui poursuivrait l’oeuvre de chrétienté des siècles passés et ouverte à la seule vraie patrie : le Ciel », abonde Joseph.

Émotion de l’arrivée à Chartres

Marqué par les images d’Épinal de milliers de pèlerins serpentant dans les champs de la Beauce, on en oublierait presque que la marche a une fin, annoncée pourtant toujours de la même façon et provoquant, chez les pèlerins, la même émotion : le surgissement à l’horizon des deux flèches de la cathédrale. « Il est d’usage de se mettre à genoux et de chanter dès que l’on aperçoit Notre-Dame de Chartres, c’est magnifique… », explique avec nostalgie Félicité qui s’apprête, à 25 ans, à marcher pour la quatrième fois vers la cathédrale. « En voyant les flèches, on réalise soudainement que nous avons des joyaux de chrétienté tout autour de nous, mais que l’on n’y prête même plus attention », souligne Henri, 23 ans, étudiant en commerce. À l’image de l’écrivain Léon Bloy, qui expliquait dans son journal avoir été pénétré, lors d’une visite de la cathédrale le 24 août 1912, par « [l’] immense gloire oubliée qui fut celle des constructeurs admirables d’autrefois », les jeunes pèlerins ont à coeur de redécouvrir l’héritage chrétien de la France, en mettant leurs pas dans ceux qui, depuis plus de mille ans, s’en vont prier auprès du reliquaire du Voile de la Vierge.

« Nous acceptons d’être de simples successeurs des pèlerins qui se rendent à la cathédrale depuis 876 », souligne l’abbé Alexis Garnier, qui voit dans le Voile de la Vierge « le signe d’une protection maternelle ». « La nouvelle évangélisation se fera grâce à l’aide de la Sainte Vierge Marie », annonce ainsi l’aumônier général de Notre-Dame de Chrétienté, dont la marche porte à sa tête une sculpture de la Vierge à l’Enfant par Henri Charlier.

Le pèlerinage vers Chartres, aussi chargé spirituellement qu’exigeant physiquement, est sans doute l’une des illustrations par excellence de l’apparent paradoxe chrétien, que Péguy résumait ainsi : « Le spirituel est constamment couché dans le lit de camp du temporel. » Ou comment, en s’enracinant par la marche dans une terre foulée, conjuguée à la force de la prière, surgit chez le pèlerin la soif de conversion.