Une récente visite à New York, où ma femme, ma fille et moi avons assisté à un spectacle à Broadway, m’a fait réfléchir à l’état du théâtre et à l’état de la tradition catholique au théâtre. Tandis que notre taxi, après le spectacle, en descendant la 44e avenue, passait devant le théâtre Helen-Hayes, je me demandais : est-ce que le théâtre Helen-Hayes, ainsi que le théâtre Walter-Kerr, sont les derniers liens positifs entre le catholicisme (Hayes et Kerr étaient catholiques) et le théâtre américain en général ?
Ce n’est pas la même chose que de se demander quelle est la relation de l’Eglise à la sculpture ou à la danse. Aussi grands que soient ces arts, ils n’ont pas la même influence que le théâtre sur la culture. Des penseurs, d’Aristote à Thornton Wilder ont considéré le théâtre comme le plus grand de tous les arts, et je suis d’accord avec eux. Ma question porte donc sur la relation de l’Eglise à cet art qui est la manifestation la plus élevée de la perfection artistique humaine.
Mais attendez. Pourquoi devrions-nous considérer le théâtre comme le plus grand des arts ?
Pourquoi pas la poésie ou le roman ? Pourquoi devrions- nous penser que l’art dramatique est plus grand que le cinéma, la télévision ou la musique pop, des arts qui, en tout cas, sont appréciés par bien plus de gens que le théâtre ?
Tout d’abord, la réponse se trouve dans le fait que l’art dramatique, plus que tout autre art, concerne la relation de l’être humain au divin. L’art dramatique occidental a sa source dans la liturgie qui est l’expression la plus haute de la louange adressée à Dieu. Les tragédies grecques ressemblaient plus à des messes de dimanche de Pâques qu’à un Samedi soir à Broadway.
C’étaient les œuvres centrales d’un festival de printemps qui se tenait en l’honneur du dieu Dionysos, et que l’on ne jouait pas en dehors de ce contexte religieux. C’est pourquoi le parallèle que l’on fait souvent entre une pièce de théâtre dramatique et les rites de la religion catholique n’est pas superficiel. La scène de théâtre même dans un contexte séculier, ne peut cacher qu’elle a ses origines dans le sacrifice.
Par ailleurs, l’art dramatique parmi tous les autres arts, avec son mélange d’action et de langage humain fournit l’occasion la meilleure pour une « contemplation » commune, qui est l’objectif du théâtre pour que nous puissions aimer et apprécier les beaux arts. Notre mot anglais « théâtre » vient d’un mot du grec ancien signifiant « regarder ». Le théâtre est notre « lieu d’observation », le lieu où la communauté se rassemble pour contempler des images des êtres humains en quête du bonheur et pour se demander ce que signifient de telles images pour la communauté dans la quête de son propre épanouissement.
Certains pourraient faire cette objection : « Le cinéma et la télévision ne fonctionnent-ils pas aussi comme des arènes réservés à la contemplation ? »
Oui, mais pas de la même manière. La différence, bien sûr, est que la pièce de théâtre est, bien évidemment, en direct, pas enregistrée. La qualité toute spéciale de l’énergie qui se dégage dans ce lieu ne peut échapper à personne. C’est une énergie générée par « la présence véritable » des acteurs et de l’auditoire réunis ensemble dans une même communion, à un moment unique, en quête du sens de l’existence humaine. Aucun autre art ne peut égaler l’intensité de l’expérience commune vécue par les spectateurs au théâtre.
Cette expérience contemplative au théâtre est encore rehaussée par le fait que, selon les mots de Thomas Wilder, c’est la nature de la représentation théâtrale de nous faire expérimenter l’universel plutôt que le particulier : « le roman est d’abord et avant tout, le moyen d’exprimer
ce qui est unique, le théâtre celui d’exprimer ce qui est général. En mettant en scène l’action individuelle, le théâtre a le pouvoir de l’élever au royaume de l’idée, du type et de l’universel qui est capable d’évoquer notre croyance. »
Etant donné la nature et le pouvoir de l’art dramatique, nous nous attendrions à trouver dans l’histoire une solide alliance entre l’Eglise et le théâtre. Mais il n’en est pas ainsi. L’Eglise, c’est certain, a quelques raisons d’hésiter à s’associer au monde du théâtre. Quand dans le passé St Augustin et St Jean Chrysostome s’insurgeaient contre certains théâtres, ils condamnaient à juste titre des spectacles qui étaient scandaleux. Ce qui se joue à New York cette semaine pourrait susciter de semblables condamnations.
Il y a cependant eu de moments fastes dans l’histoire, lorsque la beauté de la foi trouva son expression dans une tradition dramatique. Ce fut le cas des Mystères au Moyen Âge, tout comme la tradition du Théâtre Jésuite qui a prospéré dans les collèges européens de la Société de Jésus à la fin du 16ème et au début du 17ème siècle.
Puis apparaît Shakespeare qui domine toute l’histoire du théâtre tel un colosse. Il a été clairement établi que Shakespeare a été élevé par un père catholique et est allé dans une école secondaire de Stratford dont les enseignants étaient catholiques. Et si les arguments du Père Peter Milward, SJ, Claire Asquith, Joseph Pearce sont corrects, l’attachement, à l’âge adulte, de Shakespeare au catholicisme, était fort, et il est subtilement présent dans les pièces.
Donc où en sommes-nous aujourd’hui ? Il y a peu de preuves de l’influence positive du catholicisme dans le courant dominant du théâtre. Parallèlement, ces cent dernières années, l’influence de ce courant dominant du théâtre, sur la culture populaire a lui-même diminué considérablement. De nos jours, le monde du théâtre de New York est un mélange de spectacles pour touristes, comme la production du Fantôme de l’Opéra que ma famille et moi-même sommes allés voir, de reprises de spectacles passés, prestigieux et d’ adaptations de films à succès d’Hollywood, c’est un mélange de pièces engagées avec des messages délibérément progressistes et d’une poignée de pièces présentant un spectacle sous un angle quelconque d’un intérêt particulier.
Le cinéma et la télévision ont remplacé le théâtre en tant que lieux de notre culture commune. Tout cela n’est pas mal, ce sont deux formes d’art qui ont un pouvoir assez important pour nous attirer et nous maintenir sous l’emprise de ce qu’ils sont.
Mais le théâtre a un pouvoir spécifique irremplaçable et son déclin est un terrible coup pour notre compréhension de nous-mêmes. Ajoutez à ceci l’absence de présence catholique dans le monde du théâtre de courant dominant, et le résultat est une perte culturelle catastrophique.
Ce dont nous avons besoin, ce sont d’artistes catholiques qui, comme Shakespeare, sont prêts à faire leur chemin de leur province avec leur culture pour faire revivre cette forme d’art qui est en train de mourir. Comme ils disent dans Kiss Me Kate, nous avons besoin d’une autre opinion pour un autre spectacle.
http://www.thecatholicthing.org/2015/05/22/another-opnin-another-show/
Tableau : « Roméo et Juliette devant le père Laurent» par Karl Becker, c. 1870
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