Quand j’entends la phrase « par abondance de prudence », je tends la main vers… mon décodeur. Parce que ce n’est pas toujours un avocat qui l’utilise. En fait, je ne connais qu’une seule utilisation légitime de l’expression. Toutes les autres sont illégitimes car elles cachent la vérité.
L’utilisation légitime est banale et courante, mais technique et peu connue. Cela traite d’une hypothèque où le prêteur a besoin de garanties supplémentaires. C’est vraiment supplémentaire, car « un prêteur prudent accorderait un crédit basé sur le revenu de l’emprunteur et/ou d’autres garanties », comme l’indique le Code fédéral (12 CFR § 614.4240). De plus, la garantie supplémentaire « n’est pas requise par la loi, la réglementation ou les politiques de l’institution ». Par définition, c’est une précaution dans la sécurisation du prêt, qui va au-delà de la prudence.
Par extension, nous pouvons autoriser, comme également légitimes, toutes les mesures de protection supplémentaire sur lesquelles un avocat insiste pour protéger le pouvoir ou les biens de son client. Apparemment, c’était le sens originel de l’expression, dans la loi du XVIIe siècle, ex abondante cautela, « par prudence excessive ».
Un exemple récent et clair de cette utilisation légitime est la double prestation de serment du président Obama. Lorsque le juge en chef Roberts a fait prêter serment à Barack Obama en tant que président, il a par inadvertance changé l’ordre des mots du serment. Au lieu de dire « j’assurerai fidèlement les fonctions de président des États-Unis », Roberts a déclaré, et Obama a répété : « j’assurerai les fonctions de président des États-Unis fidèlement ».
Pour évacuer le moindre doute qui pourrait être jeté sur le pouvoir du président, le serment a de nouveau été prononcé. « Par abondance de prudence, car il y a eu un mot hors séquence, le juge en chef John Roberts prononcera le serment une deuxième fois » a expliqué le secrétaire de presse du président, en utilisant vraisemblablement un langage conçu par des avocats du Bureau du conseil juridique.
Mais maintenant, nous glissons dans des utilisations illégitimes, où la phrase cache quelque chose. Il vaut mieux dire exactement de quoi il s’agit. Voici la première : supposons qu’un avocat conseille à son client de prendre certaines mesures défensives pour éviter les poursuites – par exemple, le médecin qui pratique la « médecine défensive » ou l’école qui arrête une activité dangereuse en raison de blessures possibles. Ces mesures ne sont pas prises par une abondance de prudence, mais simplement par prudence – précaution – compte tenu d’une certaine aversion au risque. Déclarez ouvertement l’arbitrage, puis laissez les autres juger s’il est approprié.
La mauvaise utilisation la plus flagrante est de cacher un réel danger. « Boeing a décidé – par abondance de prudence et afin de rassurer les passagers sur la sécurité de l’avion – de recommander à la FAA la suspension temporaire des opérations de l’ensemble de la flotte mondiale de 737 MAX. » Donc, après l’accident de l’avion éthiopien.
La prudence ordinaire était suffisante pour laisser les avions au sol. Mais la direction de Boeing a expliqué que la décision était excessivement prudente pour se protéger. C’est l’attitude de l’avocat qui tend la main vers ce qui ne lui appartient pas, protégeant désormais la direction des clients.
Aujourd’hui, face à une pandémie de COVID-19 menaçante, nous constatons toutes sortes d’autres abus. Si une activité publique est annulée en raison de la logique du Dr Anthony Fauci – que ceux qui se rassemblent, même jeunes et non à risque, peuvent néanmoins propager la maladie aux personnes âgées ou à d’autres personnes à risque – l’événement n’a pas été annulé à partir d’une « abondance de prudence ». Il s’agit plutôt d’un organe subsidiaire qui fait un sacrifice pour le bien commun de la société.
Pourquoi est-il important de le décrire avec précision ? Parce qu’alors nous avons une possibilité d’évaluer correctement les arbitrages. Était-il nécessaire ? Quel est le bien commun de toute façon ? Supposons que le groupe ne soit pas en fait subsidiaire de la société – que son autorité et les biens qu’il recherche viennent d’en haut, comme le dit Notre-Seigneur (Jn 3, 5-6) ?
Je veux dire l’Église, bien sûr. Alors, quelque chose comme la logique du Religious Freedom Restoration Act (« Loi sur la restauration de la liberté religieuse » de 1993, ndt) devrait certainement s’appliquer – seuls les moyens les moins restrictifs compatibles avec un intérêt public impérieux peuvent être raisonnablement recherchés. Les interdictions générales, qui sont tout simplement plus efficaces ou protègent les personnes en position d’autorité, ne peuvent être justifiées par « une abondance de prudence ».
De plus, malgré l’attrait des explications invisibles, lorsque le bien commun est en jeu, les conseils d’une autorité centrale sont nécessaires en pratique. Des réponses non coordonnées de la part de nombreuses personnes à la fois, visant toutes à promouvoir ce qu’elles considèrent comme le bien commun, peuvent conduire au désastre.
Nous devons tous rester confinés pour aplatir la courbe. Mais pour combien de temps ? Quel critère marque le terminus ad quem ? La santé des personnes à risque et la capacité du système de santé sont-elles les seules composantes pertinentes du bien commun ?
Les grandes entreprises ont moins de difficultés, mais peu de petites entreprises peuvent fermer pendant deux mois. N’y a-t-il aucun degré de faillite ni aucune gravité de dépression financière qui suggéreraient que des solutions moins « abondamment prudentes » sont préférables ?
Et puis « abondance de prudence » signifie en fait diverses choses peu recommandables, associées à la signalisation sociale et à la pression.
Les grands domaines skiables ont fermé leurs portes, annulant quelques semaines douteuses de ski de printemps, par « abondance de prudence ». Évidemment, transmission en skiant ou pendant la remontée ? Ils peuvent se référer à leur conscience sociale. Mais faisaient-ils vraiment du profit à ce moment-là, ou cherchaient-ils simplement à se vanter de la fin tardive de leur saison d’ouverture, assez facilement pour renoncer à une autre source de prestige ?
Ou qu’en est-il des entreprises qui peuvent vraiment atténuer tous les risques réels de propagation mais qui sont obligées de fermer par la pression du groupe, sous peine d’apparaître comme des profiteurs ? C’est une « abondance de prudence » diront certains, rejetant la perte que d’autres subissent, mais pas eux.
Bien sûr, on salue tout signe de sollicitude envers les autres dans notre société en colère. Presque tout le monde bénéficie du choc qui conduit à reconnaître que la plupart des « nécessités » ne sont pas nécessaires (pas même du papier hygiénique – car la plupart d’entre nous ont des feuilles dans le jardin), et d’une retraite forcée.
Mais pendant que nous y sommes, mettons de côté le langage juridique et « que votre oui soit oui et votre non, non ». (Mt 5:37).