Il ne faut pas se mentir. Il n’y a pas unanimité en ce moment dans l’Église de France, et la dernière prise de position de l’épiscopat sur le terrain politique1 a suscité une contestation directe, souvent rude dans l’expression. Nous avions présenté ici-même ce texte, de façon positive, en nous félicitant qu’il prenne les choses par le haut, en rappelant notamment la primauté du bien commun et la nécessité de redéfinir le sens du politique. Beaucoup ne se sont pas reconnus dans cet essai de recentrage philosophique et cette volonté de passer outre aux oppositions frontales qui structurent aujourd’hui le débat national, singulièrement en cette période préélectorale. N’ayons pas peur des mots : les rédacteurs du document épiscopal sont directement accusés de conforter les bons sentiments du politiquement correct, en enterrant les sujets qui fâchent, qui ne sont pas vraiment traités dans leur charge la plus détonnante.
Ainsi lorsqu’est évoquée une situation mondiale peu rassurante, avec les incertitudes que posent « l’islam, sa présence dans notre pays, la crainte du terrorisme, les flux migratoires », le document n’apporterait pas vraiment de réponses. Les questions soulevées seraient même évacuées, car leur examen s’avèrerait trop pénible. La mondialisation elle-même, qui est à l’origine d’un bouleversement économique et culturel ne serait pas analysée avec l’attention qu’elle mérite. Et il est vrai qu’il manque au texte toute une dimension économique, avec le rôle des marchés financiers pourtant déterminant et le risque d’une crise généralisée dont celle dite des subprimes n’aurait été qu’un prodrome. Sur ce terrain, la parole du pape François apparaît infiniment plus incisive. Comment ne pas envisager en même temps la recomposition du tissu national, avec les zones qui ont bénéficié des échanges mondiaux et celles qui ont été reléguées dans un déclin qui affecte une grande partie de la population (la fameuse France périphérique de Christophe Guilluy).
Que notre épiscopat soit attentif au danger de l’exclusion et du rejet de l’autre, on peut le comprendre à l’aune des vertus évangéliques. Mais il y a aussi d’autres périls, qui émanent d’une incompréhension de la part de ceux qui estiment que, sous couvert de largeur d’esprit, on conforte l’illusion d’une société ouverte, masquant les fractures et les blessures des perdants de la mondialisation. C’est bien pourquoi il convient moins que jamais de fermer les yeux face aux insatisfactions qui se sont révélées à l’occasion d’une prise de position qui se voulait rassembleuse. Nous aurions tout à perdre d’ignorer des objections légitimes, dont le déni pourrait déstabiliser durablement l’Église de France.
- Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, Dans un monde qui change retrouver le sens du politique, 96 p., 4 €, Bayard, Cerf, Mame.