Printemps 1973 : Me voilà en congé sabbatique pour un an. Nous avons donc choisi de suivre des amis et de passer un semestre à Londres avec leurs familles. Nous nous sommes installés à Fulham, près du joli parc d’Hurlingham, où le groupe des Monty Python a organisé sa « Race of the Upper Class Twits ». Au début du mois de juillet, j’ai pris la main de mon garçon de 5 ans, Jérémy, et je lui ai dit que nous pourrions peut-être nous glisser furtivement à Wimbledon pendant les dernières heures du tournoi.
Mais je me suis vite rendu compte qu’il serait probable que nous fassions tout ce voyage pour rien. Je l’ai donc annulé, pensant qu’il valait mieux ne pas perdre notre temps dans le train. Du moins, pour le moment. Mais ce moment s’est avéré long, très long et la perspective d’aller à Wimbledon disparaissait au fil des années. Et pourtant, il y eut Phil de Picciotto, un de mes plus anciens étudiants que j’appréciais beaucoup. Il souhaitait créer un bureau pour soutenir les athlètes dans les différents aspects de leur vie. Le cabinet de Phil loue une jolie maison au coin de la rue du tournoi de tennis de façon à accueillir le personnel et divertir les clients.
Au fil des années, il m’a poussé à finir ce voyage et me l’a encore demandé cette année : c’était quarante-trois ans après. Pourquoi ne pas enfin faire ce voyage ? Et c’est ainsi que nous sommes partis.
Mon garçon de 5 ans avait alors 48 ans et il camperait avec sa femme en Islande avant d’espérer attraper un vol pour Londres. Il avait la certitude de pouvoir louer une voiture et conduire du côté gauche de la route, essayant de s’attaquer aux « ronds-points » déroutants, tout comme au levier de vitesse à gauche. Il a ensuite conduit pour me retrouver à Oxford. Nous voulions nous immerger dans la vie de son campus et de l’université, mais d’abord, nous voulions voyager dans les Costwolds, avec ses villages pittoresques aux noms tels que Moreton-on-the-Marsh, Chipping North ou, bien sûr, Stratford-upon-Avon. On pourrait s’attendre à voir Miss Marple se promener dans ces villes, non loin d’une scène de crime.
Mais revenons à Oxford au moment de la Messe à St Aloysius avec John Finnis et sa famille et à notre visite une visite à Evensong au Christ Church College pendant cette semaine-là. La chapelle est l’une des plus jolies, tout comme fut charmante la messe en l’église Anglicane de High Church. Il devient plus facile de se rappeler que cette Université impressionnante, ainsi que sa Chapelle, est un établissement Papiste avant qu’Henri VIII ne saisisse les propriétés et ne marginalise les catholiques.
Nous continuons notre aventure en passant nos derniers jours à Londres, cherchant notre vieille maison sur Dolby Road et savourant chaque match de Wimbledon. Nous avons trouvé étranger la présence d’hommes et de femmes avec des accents de la haute société, quelques marques d’une certaine éducation, servant joyeusement de la nourriture, pâtissant, et faisant tout type de travaux manuels. Wimbledon comptait beaucoup d’agents de sécurité en uniforme et en civil et on le voyait nettement à l’ambiance qu’il y régnait, même parmi la diversité de la foule de spectateurs. Parmi les classes de la société, le décorum et le respect prévalaient lorsqu’on voyait les gens contenus qui se gardaient de distraire les joueurs et se penchaient discrètement, très concentrés sur le jeu.
De retour à Oxford, Jérémy et moi nous sommes arrêtés à Blackwell, la célèbre librairie britannique. J’ai mis un point d’honneur à lire et relire certaines œuvres et auteurs que ma défunte femme aimait tant. Nous avons même trouvé un nouveau livre de Sebastian Faulks, Where My heart Used to Beat (Là où mon cœur battait). Ma femme avait apprécié ces romans, Birdsong (Le chant des oiseaux) et the Girl at the Lion d’Or (La jeune fille au Lion d’Or). Jérémy et moi avons tous les deux pris des copies de ce livre. Le personnage principal est un psychiatre britannique qui a montré son courage en menant des hommes au combat lors de la Seconde Guerre Mondiale. Son propre père avait péri lors de la Première Guerre avant même qu’il ne l’ait connu.
Robert Hendircks, le psychiatre, avait attiré l’attention d’un autre psychiatre qui avait connu son père et on découvre cette histoire terrible par fragments : Le père avait vu la plus grande tuerie d’une guerre qui ne prévoyait pas une fin prématurée de celle-ci et il a vu la bêtise de ces commandants, gaspillant la vie de soldats envoyés en missions sans intérêt. Il a essayé de mettre fin à sa vie, face à un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance.
Mais il a bâclé le travail, en mutilant une partie de son visage. Malgré ses plaies et pleures, des efforts héroïques étaient fait pour le garder en vie, pour qu’il puisse être jugé devant une cour martiale. Puis devant le peloton d’exécution. Avant qu’il ne se tue, il a écrit une lettre à sa femme et son fils qui a alors deux ans. Il lui dit, ‘J’ai emporté une photo de toi à la bataille, s’il te plaît, porte moi dans ton cœur jusqu’à un monde meilleur que celui-ci, un monde où nous pourrons, d’une certaine manière, nous retrouver. »
Je dois avouer que j’étais ému aux larmes en lisant ça. Et avec tout ce qui s’abattait sur nous à ce moment-là, je ne pouvais pas m’empêcher de penser : Qu’avons-nous fait Julie et moi en amenant Peter et Jérémy dans un monde qui tombe aujourd’hui dans une spirale de violence et d’inversion morale, et une saison politique qui nous promet le pire ? Mais alors que je regardais mes propres fils et les enfants des autres, je sais que, aussi mauvais qu’il soit, le monde ne serait pas meilleur sans eux. Ils sont toujours des cadeaux qui nous ont été donnés, des réflexions persistantes de l’amour de ceux qui les ont amenés à la vie.
Ils sont sûrement, en eux-mêmes, la foi vivante « la preuve des choses invisibles » et pourtant, ils offrent le rachat des terres de l’espoir.
Mardi 9 août 2016
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/09/a-sentimental-journey/
Photo : La chapelle universitaire, Christ Church, Oxford
Hadley Arkes est professeur de jurisprudence émérite de l’université d’Amherst. Il dirige l’Institut James Wilson des droits Naturels, qu’il a fondé à Washington et la Fondation Américaine.
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