L’expression « vivre ensemble » 1 fait partie d’une sorte de vocabulaire obligé de la bienséance. N’est-elle pas le mot d’ordre même de la civilité élémentaire ? Qui ne souhaite pour son pays, sa cité, son village ou son quartier, un climat de bienveillance et même de courtoisie qui rend l’existence heureuse et l’entraide une disposition agréable à tous ? Mais voilà ! Le martelage de l’expression est plutôt le symptôme d’un malaise, l’indice d’une inquiétude liée à un constat alarmant. Il s’agirait donc plutôt d’un souhait que d’une maxime innée de la conscience commune. Mais la gravité de certaines situations obligerait à briser la bienséance ainsi que Jacques Julliard vient de le faire dans une chronique du Figaro, qui risque de faire date.
« Il faudra encore beaucoup de crimes et de souffrances pour qu’on admette que le “vivre ensemble”, cette expression inepte, indécente, derrière laquelle on camoufle l’apartheid des cultures, n’est qu’une blague, une blague sanglante. » Diable ! C’est mettre les pieds dans le plat, comme on le dit communément, afin de donner un avertissement salutaire. Jacques Julliard n’a pas le goût de la provocation en soi. Son indignation est fondée sur de solides arguments, même si, trop souvent, on se cache la réalité, qu’il affirme crûment : « Les pays riches d’Europe et d’Amérique sont en train de devenir des mosaïques ethniques, tandis que les pays pauvres conservent pour l’essentiel leur identité. » C’est le communautarisme qui s’instaure, avec pour conséquence la faculté laissée aux nouveaux venus de rester fidèles à leurs racines, tandis que les autochtones ont le sentiment d’être déracinés sur leur propre sol. Et lorsque s’y ajoute la détestation du pays d’accueil professée par l’islamisme, nous voyons se développer « ce cocktail détonnant qui est en train de gagner toute l’Europe et que l’on appelle sommairement le populisme ».
Jacques Julliard n’est nullement suspect de la xénophobie dont on accuse d’ordinaire ceux qui dénoncent le même phénomène. Il est d’ailleurs aux aguets à l’encontre des réactions dangereuses qu’il s’agit de prévenir. On ne peut réclamer des autres générosité et ouverture, si au préalable on ne reconnaît pas la réalité des choses avec la probité intellectuelle qui convient. Notre pape François, si militant en faveur des migrants en détresse, n’en vient pas moins de lancer son propre avertissement qui demande réflexion : « Le phénomène migratoire pose donc un sérieux problème culturel, auquel on ne peut se dispenser de répondre. »
- Si l’on doit en croire le père Jean-François Six (page 263 de son Foucauld après Foucauld, Cerf, 2016), en 1961, Massignon, à propos des Touaregs, lui dit que la conception de Foucauld était de faire d’eux non plus des « sujets » comme disaient les colonisateurs, mais des « égaux » avec lesquels s’associer, établir un « vivre ensemble ».
Expression du Foucauld de 1914, du Massignon de 1961, anachronisme du père Six de 2016 ?
Pour aller plus loin :
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