La forme idéale d’une science est un système par déduction. Comme la géométrie euclidienne. Vous commencez avec un petit nombre de définitions et d’axiomes (postulats) et ensuite vous déduisez de ces axiomes toutes les autres propositions (théorèmes) du système. La meilleure sorte de système par déduction serait celui dans lequel toutes les propositions seraient déduites d’un unique axiome.
Je pense que nous pouvons faire quelque chose de ce genre avec le système culturel américain d’opinion appelé humanisme séculier, ou, quand on le considère comme système d’opinion politique, ultra-libéralisme ou progressisme. C’est ce que je me propose de faire ici. Je vais tenter de déduire toutes les opinions de l’humanisme séculier (progressisme, ultra-libéralisme) d’un unique axiome, l’axiome de la liberté personnelle. Je confesse par avance que toutes les déductions ne seront pas logiquement inattaquables, je ne suis pas Euclide. Mais elles seront assez solides.
1. Liberté : La meilleure des choses est la liberté individuelle. Dans un monde idéal, chacun devrait en avoir autant qu’il est possible. La seule limite à la liberté devrait être le mal fait aux autres ; c’est-à-dire que nous devrions être moralement libres de faire tout ce qui nous passe par la tête pourvu que nous ne fassions pas de mal aux autres.
2. Liberté sexuelle : elle découle logiquement de la liberté prise au sens général. Tant que nous ne faisons pas de mal à d’autres non consentants, deux adultes consentants (ou plus) devraient être libres de pratiquer tout acte sexuel de leur choix.
3. Libre contraception : Si nous avons un régime culturel de liberté sexuelle, la société doit procurer, par l’intermédiaire du gouvernement une contraception gratuite pour éviter des grossesses indésirées.
4. Libre avortement : puisque la contraception, même gratuite, ne fonctionne pas toujours, il faut également procurer l’avortement gratuit. Un régime de liberté sexuelle est intenable sans l’avortement. (S’il est objecté à l’avortement qu’il fait effectivement du mal à quelqu’un – à savoir qu’il tue un bébé à naître – nous devons nier que le bébé à naître soit un être humain.)
5. Homosexualité ; Il n’y a pas de sens à permettre la liberté sexuelle aux hétérosexuels si on ne l’accorde pas également aux homosexuels.
6. Mariage homo : Si les relations homosexuelles sont moralement permises, le mariage homo doit également être permis, moralement et légalement.
7. Polygamie : Si le mariage homo est permis, comment la polygamie – que ce soit la polygynie, la polyandrie ou le mariage de groupe – pourrait-elle être interdite ?
8. Polyamour : Si la polygamie est permise, comment pourrait-on interdire le polyamour, son cousin informel ?
9. Inceste entre adultes : si nous avons un régime de liberté sexuelle, il ne peut pas y avoir d’objections aux relations incestueuses entre des frères et sœurs adultes (ou des relations homosexuelles entre des frères adultes ou entre des sœurs adultes) ou entre des parents et leurs enfants adultes – sous réserve que des précautions soient prises pour éviter la naissance de bébés issus de ces relations.
10. Bestialité : Pourvu qu’il ne soit pas fait de mal à l’animal en question, il ne peut pas y avoir d’objection aux rapports sexuels entre un humain et un animal. S’il est objecté que ce serait mal parce que l’animal est incapable de donner son consentement, on peut répondre que nous tuons des animaux pour nous nourrir sans d’abord obtenir leur consentement. Si nous pouvons tuer un cochon sans son consentement, pourquoi serait-il interdit d’avoir des relations sexuelles avec un cochon non consentant ?
11. Anti-violence : Si la liberté est la valeur ultime, la répression de la liberté est l’anti-valeur ultime. Et de tous les modes de répression de la liberté, le plus extrême est l’usage de la violence. D’où une profonde aversion pour la violence chez les humanistes séculiers.
12. Anti peine de mort : C’est mal parce que c’est violent.
13. Anti-armes : Les armes sont des instruments de violence, donc moins il y en a et mieux c’est.
14. Anti-guerre : La guerre est violente. Par conséquent…
15. anti-militariste : La raison d’être des militaires est de faire la guerre. Par conséquent…
16. Pacifiste : La paix est l’opposé de la guerre.
17. Pro-diplomatie : Quand il y a des différents entre les nations, la diplomatie est l’alternative à la guerre. Donc, négocions.
18. Anti-racisme : Le racisme est violent ou tend à la violence.
19. Méfiance envers la police : La police est légalement autorisée à se servir d’armes à feu ou d’autres formes de violence. En plus, la police a la réputation d’user de violence envers les noirs.
20. Suspicion envers les très riches : Ils sont avides et leur avidité les conduit à prendre l’argent des non-riches, ce qui réduit la liberté de ces derniers. Par conséquent les riches doivent payer plus d’impôts et leurs industries sont sévèrement régulées.
21. Athéisme : Si Dieu existe, et si nous considérons Dieu comme un législateur (la façon la plus répandue de voir Dieu), alors Dieu restreint notre liberté en nous donnant des lois. Pour être tout à fait libres, nous devons nous débarrasser de Dieu.
22. Anti-christianisme : S’il n’y a pas de Dieu, alors le christianisme est une fausse religion. Mais puisque le christianisme a été, sous une forme ou une autre (généralement une forme protestante) la religions dominante en Amérique depuis le début, un combat contre la religion doit se concentrer plus particulièrement sur le christianisme.
23. Un nouveau Dieu : S’être débarrassé de Dieu a laissé un vide psychologique. Car nous avons toujours cru qu’il existait une grande puissance qui occasionnerait le triomphe du bien. Mais si Dieu n’est plus cette puissance, qui le remplacera ? L’Etat – c’est-à-dire le gouvernement fédéral – est le candidat le plus plausible.
24. Augmenter l’Etat : Plus l’Etat est puissant, plus il sait de choses, plus il fait un Dieu terrestre crédible. Et donc le gouvernement fédéral doit obtenir de plus en plus de pouvoir et il doit être en mesure collecter de plus en plus d’informations sur tout, y compris sur les gens.
25. L’Etat omnipotent : Le gouvernement fédéral étant semblable à Dieu, il peut garantir et augmenter notre liberté. Par conséquent l’Etat peut résoudre tous les problèmes, peut éliminer tous les obstacles à notre liberté : la pauvreté, l’ignorance, la maladie, le sexisme, la xénophobie, l’islamophobie, la faim, les inondations, les incendies, les ouragans, les tornades, le réchauffement climatique, etc.
A tout cela, nous pourrions ajouter : boomerang. Hélas, la poursuite incessante d’une liberté absolue s’achève en quelque chose comme le totalitarisme.
— –
David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.
Illustration : le retour du boomerang
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/04/20/a-deductive-system/